En secondaire 1 j'ai rencontré Fanny la première journée dans le cours de Madame Martin. C'était sa dernière chance, si elle coulait encore son secondaire 1, elle allait en cheminement particulier. Elle s'en foutait. Elle est venue me voir pour me dire que j'avais des belles boules pour mon âge, son chum aimerait ça. Moi, j'avais douze ans et demi. Fanny avait un chum de 24 ans. Dix ans de plus qu'elle, mais elle l'aimait. Lui aussi, il l'aimait pour vrai. Quand je suis allée dîner chez elle, son chum était là et il a dit que c'est vrai que j'ai des belles petites boules, j'étais bien développée pour mon âge. Les parents de Fanny étaient d'accord. Fanny me les pinçait et tout le monde voulait les voir, je mettais mes mains devant, j'essayais de me cacher, j'étais trop gênée pour le faire. Je ne le trouvais pas vraiment beau, mais quand il la prenait sur ses genoux, il se passait quelque chose, c'était très sexuel, je sentais ça de l'autre bout de la table. J'avais envie d'y aller aussi et qu'il me serre avec ses grandes mains. J'avais envie et j'avais honte parce que j'étais certaine que c'était pas bien. Quand elle disait que ça faisait deux ans qu'elle était avec lui, je trouvais ça très bizarre. Et injuste, qu'à mon âge je n'aie pas encore fait l'amour alors qu'elle le faisait tous les jours depuis deux ans. Ça veut dire que Jane avait pas raison quand elle disait qu'on est trop jeune. Fanny a promis de plus me pincer les seins pour que je retourne dîner chez elle. Des fois, je restais et je jasais avec ses parents en haut pendant qu'elle allait faire une pipe à son chum dans le sous-sol. Après il nous reconduisait à l'école dans son pick-up. Sur la route ils me racontaient ce qu'ils avaient fait. Ce que j'avais manqué. Fanny disait qu'il était dans une gang.
Fanny attendait d'avoir seize ans pour lâcher l'école parce qu'elle ne voulait pas que ses parents aient de problèmes avec la DPJ. Fanny voulait bien faire les choses. À seize ans, fini l'école, elle allait déménager avec son chum et tomber rapidement enceinte pour ne plus être sous la responsabilité de ses parents et pouvoir enfin toucher un chèque de BS.
Pendant des mois, dans le cours de Madame Martin, Fanny me donnait des petits papiers. Elle me tapait l'épaule, m'envoyait des baisers. Elle voulait que j'aille dormir chez elle le vendredi, avec son chum. Son chum lui avait dit de me le demander. T'as jamais fait ça un trip à trois, qu'elle disait, manque pas ta chance. Elle arrêtait pas de dire que j'aurais mal parce que son chum a une méchante grosse graine. Tu vas aimer ça, tu vas voir. Je vais aimer ça ou je vais avoir mal? J'avais un peu peur de sa grosse graine. J'avais surtout peur de pas savoir quoi faire avec et que Fanny le dise à tout le monde. J'avais pas si peur du chum de 24 ans, ni de sa grosse graine. J'avais peur de me déshabiller devant Fanny. Elle était beaucoup trop belle.
Elle est encore belle. Je l'ai vu poser dans l'uniforme de sa fille, il lui fait bien. On dirait encore qu'elle a quatorze ans. Sauf que sa plus vieille a cet âge et que Fanny vient encore d'accoucher. Elle accouche, comme une chatte, de petites princesses délicieuses. Rien que des petites filles. Six ou sept, j'ai perdu le compte. Elles sont belles. Photogéniques comme leur mère. On les voit faire des câlin à leurs parents qui fument un joint et tiennent une bière de l'autre main. Elle pose enceinte avec sa cigarette et son verre de vin.
Elle s'en câlisse Fanny. Ses enfants, sont les plus beaux d'Hochelaga. Elles sont capables d'être bonnes à l'école, mais ne se forcent pas et ça la fait bien rire. Au moins sont capables, c'est ça l'important. Sont capables de se débrouiller. Sont capables de tout ces enfants-là. Elles ont reçu quelque chose qui manque à tant d'autres. L'ingrédient principal. J'ai jamais vu autant d'amour dans une maison. Autant de câlins, de je t'aime, entre les cris et les pleurs des bébés, les émissions de télé trop fortes des grands-parents et les jappements des chiens. Tout ce qu'on remarque dans cette maison à part la fumée, c'est l'amour. Fanny a aimé son gars de vingt-quatre ans jusqu'à ce qu'il se fasse tirer par les policiers pendant une poursuite à deux rues d'ici; à trente-cinq ans. Maintenant elle aime un gars de son âge qui aime ses enfants comme les siens et lui en fait de nouveaux pour ne pas qu'elle s'ennuie le jour pendant qu'il dort.
Fanny a la vie qu'elle voulait, elle fait de son mieux et réussi assez bien et si notre société reconnaissait le travail invisible des femmes, elle ne serait pas obligée d'être sur le bs.
Vous, Cann'Elle,
RépondreSupprimerC’est fou ce que vous avez le don de me rentrer dedans avec un truck dans le plastron quand vous parlez de votre monde, celui que je vois des fois quand je décide de m’ouvrir les yeux pour regarder tout autour.
Éric,
lecteur accroc et infidèle (faudrait vraiment que je réponde à votre blog plus souvent, parce que j’aime cela).
Éric!
RépondreSupprimerÇa fait longtemps, je me demandais si tu me lisais toujours. Arrête de me vouvoyer je suis assez vieille comme ça, n'en rajoute pas...
Ça me fait plaisir que tu commentes, vraiment. :)