lundi 22 avril 2013

Yaëlle

Quand j'étais petite, j'habitais un immeuble neuf d'un quartier en transformation. Il n'y avait pas de ruelle derrière chez moi. Il y avait une grande cour puis une clôture et une autre cour et encore une autre. Des tas de clôtures et de cours.

Je me souviens d'un matin alors que j'avais trois ans. Je jouais dehors et de l'autre côté j'ai vu une petite fille. Elle avait les cheveux roux et bouclés. Elle était plus vieille que moi. Je suis allée me coller le nez dans le grillage et lui ai demandé son nom. Elle s'appelait Yaëlle. Je lui ai demandé de venir jouer dans ma cour.

Yaëlle n'était pas comme les autres. Il y avait des enfants dans toutes les cours entre chez moi et la rue Alexandre-de-sève, elle n'était pas comme les autres.

Elle prenait l'autobus jaune le matin pour aller à l'école Face, une fois, je suis allée la voir faire un spectacle, elle jouait de la flûte, toutes les filles avaient des jupes noires et des chemises blanches. Je comprenais pas pourquoi mon père voulait pas que j'aille à cette école-là.

Je pense qu'elle n'aimait pas vraiment jouer à la Barbie, elle ne croyait pas au Père-Noël et était athée. Elle m'avait tout expliqué. Ça rendait mon père fou. Il disait que la mère de Yaëlle c'était une hippie. Du monde bizarre. Ses parents étaient séparés, pire, jamais mariés... Ça prend du monde bizarre pour peinturer ses roches rouges. Peinturer des roches? Pourquoi faire disait mon père.

Un feu de camp. Et plein d'autres choses. Ça prend juste un peu d'imagination.

Il disait qu'elle était effrontée, parce qu'elle appelait sa mère par son prénom. Sa mère, elle nous parlait pas comme à des enfants. Elle écrivait un livre. Avec ses lunettes, une pile de pages imprimées, un crayon pour corriger. Si je voulais écrire un livre, moi aussi j'avais le droit. C'est comme ça que j'ai appris à écrire un livre.

J'ai aussi appris l'entreprenariat. À l'heure de pointe, dans le temps qu'on pouvait prendre le pont Jacques-Cartier par la rue Lafontaine, elle vendait du jus fait avec la mente qui poussait entre nos deux cours. Les soirs de feux d'artifices, nous vendions des cochonneries aux touristes.

-Oh, regarde, ces pauvres petits du faubourg à m'lasse qui vendent des jouets qu'ils ont gossés eux-mêmes!
-Pittoresque.

Je dépensais toute mon argent au dépanneur.

Chez Yaëlle, il y avait une balançoire dans la maison. Entre le salon et la cuisine.

On avait le droit d'utiliser des couteaux pour cuisiner. On avait le droit de cuisiner! C'était comme une autre planète. Yaëlle et sa mère n'étaient pas certaines que j'allais aimer Renaud, j'étais peut-être un peu jeune, j'avais dit : "Oui! Je veux l'écouter la cassette." M'en suis jamais remise.

Une fois, c'était l'hiver, je suis allée dans ma cour et y avait une forêt de sapins dans la cour de Yaëlle. Comme ça. Ça avait poussé. Pendant la nuit.

J'étais la petite christ de voisine fatiguante, quand ses vrais amis étaient là, ils me trouvaient bébé. Je voulais tout le temps que Yaëlle et sa mère m'emmènent avec elles, où qu'elles ailles. J'peux-tu y aller? Emmenez-moi avec vous, sortez-moi d'ici.

Il fallait tout le temps convaincre mon père. Pour allez aux feux d'artifices, pour aller au parc Lafontaine. La première fois que je suis allée au cinéma. Le 350ième de Montréal. Le Festival Juste pour rire.

Des fois on partait se promener en Jeep le soir.

Et puis Yaëlle est déménagée.

La nouvelle voisine était vraiment plate.

Je l'ai revue quand j'avais treize ans, au Mcdo sur Ste-Catherine en face de la Place-Dupuis, à côté du Giorgio. Elle avait un délicieux air punk plus raffiné que moi. Elle vivait à Outremont, je crois. Elle portait un vrai bummer vert, le mien était noir, faux, acheté chez Croteau sur la rue Mont-Royal. Sa lèvre était percée. J'ai percé la mienne l'été suivant.

En vieillissant je m'imaginais que Yaëlle devait voyager pas mal. Qu'elle était allée à une meilleure université que l'UQAM. Qu'elle travaillait sûrement dans les communications. Qu'elle était toujours aussi belle. Je ne me trompais pas.

Yaëlle, elle m'a donné souvent le goût d'être quelqu'un d'autre, mais pas quelqu'un d'autre que moi. Elle m'a donné le goût de sauter par dessus les barrières pour aller voir de l'autre côté. Comment ça se passe ailleurs? Elle m'a donné le goût d'apprendre.

1 commentaire:

  1. Moi aussi j'ai vécu un histoire de même. Un ami que j'aimais et admirais beaucoup, plus beau, riche et dégourdi que moi etc. Un peu moins vif d'esprit mais il en avait pas besoin...il était vraiment beau et tellement dégourdi.

    Ça m'a brisé le coeur quand il est aller visiter la Suisse et a sous-estimé la puissance de l'héroine dans un pays si près de l'orient.

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