vendredi 14 février 2014

L'amour quand t'es cassé

Toi, t'étais tellement pauvre quand t'étais petit que tu mangeais des biscuits soda avec des tranches de fromage sur un drap parterre et ta mère faisait semblant que vous faisiez un pique-nique. Quand je t'ai rencontré tu étais dans la rue, quand on te croisait après "bonjour comment ça va",  tu demandais une clope ou une tranche de pain. Quand je suis tombée amoureuse de toi, je savais que ça achevait Mélo et toi. On est allé à cet espèce de show métal dans un bar clandestin dans un sous-sol du Vieux-Montréal. J'habitais pas loin de la rue Viau dans ce temps-là. J'ai appelé ma mère à trois heures du matin pour lui dire qu'il fallait absolument qu'on te donne quelque chose à manger. On a marché. Parce que tu avais pas d'argent pour le bus. C'était la première fois que je marchais la rue Ontario au complet. J'avais quinze ans. C'est dans le temps que ma mère était la maîtresse d'un restaurateur grec. Elle l'a réveillé quand on est arrivé. Yanni, qu'il s'appelait, nous a fait du pain, des fettucine aux fruits de mer et à la sauce rosée. Il t'a demandé si t'avais l'intention de m'épouser et son paternalisme me faisait tellement chier que je lui ai demandé quand il allait laisser sa femme pour marier ma mère et qu'on soit riche, nous autre aussi? Ma mère l'a laissé pour un doorman avant qu'il paie mes études... T'avais même pas remarqué qu'on s'engueulait, tu as mangé genre un chaudron de quatre litres de fettucine.

Il y en a qui pensent qu'être pauvre, c'est comme être sur les prêts et bourses six-sept ans. Mais ça, c'est romantique, ça fait des beaux souvenirs. Te souviens-tu de la table en carton dans notre taudis de la rue Hochelaga? De la pizza 2 pour 1 quand tu m'as demandé en mariage? Te souviens-tu du déchirement 1 jeudi sur deux ; Mcdo ou Harvey's. Dans ce temps-là on se câlissait bien de l'environnement et de l'impact de notre consommation. Acheter c'est voter quand t'as de l'argent. On n'en a pas eu souvent. Jamais longtemps. Te souviens-tu les festins quand on en a eu, de l'argent? Les repas avec la gang quand je pouvais passer trois jours juste à cuisiner pour tout le monde? La fameuse fois que j'ai eu mon premier chèque de TPS à dix-neuf ans, mon frère m'a fait fumer pis j'ai fait venir du chinois. J'ai appelé chez Jimmy pis j'ai dit, hey man, qu'est-ce que t'as toi, dans le chinois. J'étais trop gelée pour comprendre sa réponse, je l'ai coupé et lui ai dit que je prendrais de tout. Pour quatre personnes. Johnny s'en rappelle, il en parle encore. Ça a coûté soixante-quinze piastres de chinois, dans ce temps-là, c'était de l'argent, on en avait tellement qu'on en a donné aux voisins. Hostie qu'il y en avait des spare ribs.

Je me souviens que mon père se faisait livrer une pizza de chez Mambo ou Panorama après la soirée du hockey et il me réveillait. Pizza fut mon premier mot. Je n'aimais pas le vinaigre sur les frites. Les riches achètent des Iphones à leurs enfants pour leur prouver qu'ils les aiment. Les pauvres achètent des bonbons pis de la liqueur. Le surnom de ma maman c'est bonbon. Parce qu'elle en donne à tous les enfants, surtout si les parents sont contre. Ma mère qui a souffert de malnutrition et de mauvais traitements, va pas lui dire que c'est pas bon des bonbons. Elle va te prendre pour un imbécile.

Quand tout ce que t'as à donner à ceux que t'aimes c'est de la soupe, tu en mets en tabarnak de l'amour dedans. Pis la journée que tu peux te payer du bacon t'en manges pas juste deux tranches.

Je suis pas une voleuse pourtant. J'ai jamais rien volé. Un paquet de gomme quand j'avais huit ans, pis je me suis dénoncée... Mais tantôt à l'épicerie j'étais tellement triste. Moi aussi je voulais faire de quoi de bon à manger. Je voulais pas remettre le persil frais sur la tablette. Déjà j'ai pas eu le choix de prendre de l'ail de chine. Ça fait que j'ai enlevé le collant "bio" sur le citron. Parce que pour une fois j'avais envie de te donner quelque chose à manger qui te donnerait pas le cancer. Le monde qui a de l'argent pense qu'on fait exprès de manger de la marde, ça pense qu'on aime ça. Ça pense changer le monde en s'inscrivant pour son panier bio qui coûte les yeux de la tête. J'aimerais bien pouvoir me permettre de payer dix piastres pour une courge un chou pis de la bette à carde, mais pour l'instant je prends les affaires quasiment moisies à une piastre sur le rack à pauvre en rentrant Aux jardins Dauphinais.

J'ai enlevé le collant bio sur le citron pour le payer le prix d'un citron qui tue. C'était un geste d'amour. J'espère que tu vas l'aimer mon Osso buco. Ça fait tellement longtemps que j'ai pas été contente comme ça de te faire à manger.

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