- Ça fait longtemps.
- C'est rendu difficile pour moi, la notion du temps. Un an. Deux ans?
- Qu'est-ce que tu vas faire?
- Je le sais pas. Je le sais pus. Pourquoi chaque fois que je renonce, il avance. Pourquoi quand je l'attends il m'ignore. C'est trop de niaisage. Tout ça c'est juste dans ma tête. Je suis conne.
- Mais qu'est-ce que tu veux?
- Je voudrais qu'il soit une fille. Je voudrais qu'on se perde jamais de vue. Pouvoir lui écrire, l'appeler n'importe quand, même après dix ans. Comme avec toi. Qu'on se retrouve, du vin, un peu de poésie, de la bonne musique. Que ce soit jamais compliqué.
- Ça a déjà été compliqué?
- Non. C'est pour ça que je peux pas le laisser partir.
- Mais t'es en train de tout compliquer.
- Parce que j'ai peur.
- T'as peur de quoi? Si vous êtes bien. Si ça se passe bien. T'as peur pour rien.
- J'ai peur que ça finisse. Un jour, il va tomber amoureux. Je n'entendrai plus jamais parler de lui. Les gens s'effacent jamais de ma mémoire, tu sais. C'est pour ça que je comprends pas qu'ils ne fassent que passer. Je suis incapable de faire le deuil d'une relation à moins que l'autre soit mort. C'est la seule raison, la seule excuse. Sinon, ça veut dire que tu m'as rejetée. Pis je me suis faite jeter toute ma vie, je me suis jetée souvent aussi. Mais je pourrais jamais jeter personne. C'est quelque chose que j'ai pas en dedans de moi. À la place j'ai trop d'amour. C'est pas grave. Y a plus rien de grave. Je le sens dans mon ventre que y a juste lui d'important. Je suis une estie de conne schizophrène qui s'imagine des affaires.
- T'as pas couché avec?
- Non, je pourrais pas. C'est vraiment pas ça qui nous allume.
- Mais je comprends pas c'est quoi le problème.
- Ça me tue de devoir juste faire confiance. J'aimerais ça qu'il me le dise.
- Quoi?
- Qu'il se sent comme moi.
- Tu te sens comment?
- C'est comme quelque chose de tellement vrai. De pur. Quelque chose qui m'élève. Je pourrais parler de n'importe quoi avec lui. De la Catalogne aussi... J'ai jamais aimé comme ça. C'est comme avec toi. Sauf qu'il a un pénis qui gâche tout.
- Ça changerait quoi?
- Il m'aurait déjà invitée chez lui. J'aurais fouillé dans sa musique, dans sa bibliothèque. On aurait peut-être déjà voyagé ensemble. Je pourrais lui texter que je m'ennuie sans risquer qu'il disparaisse ou qu'il pense que je veux juste le sucer. Les gars trop beaux pensent tout le temps que les filles moches veulent les sucer.
- Mais t'es pas moche pantoute!
- Oh oui. Dans son monde, je le suis. Et il y a la honte.
- Quelle honte?
- Il aime la fille moche, pas la mocheté de la fille. Il voudrait que je sois plus belle, peut-être aussi fort que je le souhaiterais laid. Il trouve ça injuste. Il a tantôt du dégoût pour moi et puis du dégoût pour lui. Parce que c'est un gars bien.
- Un prince charmant?
- Amoureux d'une sorcière.
- Alors tu crois qu'il est amoureux.
- Je crois que nous sommes peut-être amoureux, de l'âme de l'autre. On s'admire, on se respecte. On partage des tas de choses. Dans mon imagination de christ de folle...
- Faut que tu lui parles.
- Non.
- T'as pas le choix.
- Non.
- Tu vas rester de même combien de temps?
- Pour toujours.
- Tu pourrais juste lui parler.
- Je savais que tu me dirais ça.
- Pourquoi tu lui parles pas?
- Je suis pas capable. Je sais pas comment. Je sais même pas pourquoi. J'ai pas besoin de lui parler et de lui dire comment je me sens. Je voudrais que lui me parle. Il est habitué à ça. Toutes le filles ont un kick sur ce gars-là dès qu'elles le rencontrent.
- Alors t'es rien qu'une épaisse de plus dans son fan club.
- Jusqu'à preuve du contraire...
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