mercredi 5 février 2014

Ç'aurait pu être toi

C'est une histoire ordinaire comme la nôtre. Tout allait bien, jusqu'à ce que ça n'aille plus. On ne devine jamais qu'on va virer fou. Tu t'en doutais pas, toi non plus. On allait avoir une vie. On allait à l'université, on essayait d'avoir un bébé, on avait tous les deux la carrière dont on avait rêvée, on avait arrêté de fumer et on faisait de l'exercice; comme des gens équilibrés. C'était étonnant. C'était parfait. C'est fort l'amour. Mais je trouvais qu'on n'était pas assez responsables encore, pas assez propres dans la maison, on achetait encore trop de bouffe pas bio. Et faudrait un permis de conduire avant l'arrivée du bébé. Tout allait bien, mais je me suis mise à vouloir ce que j'avais toujours détesté et je me souciais trop de tout. Et je t'y ai poussé, tout doucement. Pour être productif, pour être le meilleur, pour être à la hauteur et me mériter, tu t'es mis à prendre de la dope.

Le jour où tes yeux ont changés, c'était un  mardi, en plein hiver. Tu as brisé des assiettes. Renversé le repas que j'avais fait pour toi. Tes poings saignaient, tu t'es cassé le pied en frappant sur quelque chose. Je me suis sauvée dans la chambre et j'ai passé la nuit recroquevillée entre le lit et la fenêtre, avec un bat de baseball au cas où tu voudrais me faire du mal. J'étais coincée entre ma peur et mon amour. Entre la nécessité de me protéger et mes obligations envers toi. C'est clairement écrit dans le contrat de mariage, tu dois pouvoir compter sur mon assistance. Pour toujours. J'ai mis beaucoup de temps à accepter, à pardonner, parce que jamais tu n'as pris le temps de t'excuser pour ça. C'était pas de ta faute, tu étais fou.

Après ça tu t'es mis à me quitter toutes les deux semaines. Je ne t'avais jamais vu instable comme ça. Et tu étais d'une méchanceté, d'une dureté que je ne te connaissais pas. J'ai commencé à voir une psy et je voulais vraiment comprendre pourquoi je t'avais choisi, est-ce que je savais, est-ce que j'avais planifié que tu te transformerais comme mon père et que je passerais ma vie à revivre les mêmes conneries? Est-ce que j'ai fait exprès?

Chaque fois que tu disparaissais, je pouvais juste attendre et je me disais que si j'avais un Dieu, j'aurais au moins pu prier pour toi. La scène passait et repassait dans ma tête, j'avais peur du téléphone, qu'on m'appelle pour m'informer, qu'on te voit au bulletin de nouvelles. Une chance qu'il y avait le cirque. On me disait que je pouvais rien. Mais moi, je savais que t'étais pas en sécurité dans la rue.

Tu me l'avais dit. Que tu foncerais sur une police pour l'obliger à te tirer dessus. Tu me l'avais dit plein de fois. J'avais peur. Surtout pendant les manifs. Là aussi, j'étais déchirée entre l'insécurité de te laisser seul et celle d'avoir à te contrôler dans la foule. Je préférais te tenir la main. Pour toujours. Ce que je sais c'est que je préfère mille fois ta folie à ton absence. J'endurerais n'importe quoi pour te garder près de moi. Si je t'avais lâché la main cinq minutes et que tu t'étais enfui et si on t'avais tiré dessus et si on t'avait tué.

Ç'aurait pu être toi.


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