Quand j'ai tué la sorcière de la rue Beaudry

-On dit qu'elle fait bouillir de l'eau bénite simplement en imposant les mains comme ça.
-Je te crois pas.
-Viens voir si tu me crois pas. T'es pas game.

Moi, pas game? Non, c'est faux, je suis tout le temps game, pour toute, surtout si tu me dis que je ne suis pas game, là, je suis game en estie.

-Est où d'abord ta sorcière?
-Sur la rue Beaudry, dans la vieille maison hantée.
-J'ai plein d'eau bénite chez nous Redge, ma grand-mère nous en donne à Pâques.
-Pourquoi faire?
-Pour bénir la maison pis guérir si on s'fait mal, niaiseux.
-Ta famille est bizarre Cannelle.

Le ciel s'est couvert pendant qu'on se rendait chez la sorcière avec mon pot d'eau bénite. Redge voulait que je sonne et lui tende mon petit plat jaune de mets chinois rempli d'eau bénite, elle le prendrait et là on verrait.

-Pourquoi tu le fais pas toi?
-T'es pas game Cannelle?

Redge, il était juste game de dire aux autres qu'ils étaient pas games pour qu'ils soient games de faire ce qu'il n'était pas game de faire lui-même.

On est arrivés sur Visitation, je voulais reprendre Lafontaine plus haut mais Redge voulait traverser le parc des Vikings.

-Faut pas aller dans le sable, y a des piqures, maman dit que c'est plein de maladies.
-On dit des seringues.
-La même affaire.

Devant il y avait un vieil arbre tordu qui prenait tout le trottoir tellement il était gros. C'était une grande maison victorienne à la peinture écaillée. Les fenêtres d'origines et les vitraux effrayants couverts de crasse, un carreau au deuxième étage était brisé. La porte moustiquaire avec un cadre en bois aux multiples détails était mal fermée et claquait à chaque coup de vent.

-Le soir par les fenêtres on peut voir des fantômes.

J'ai monté les quelques marches comme si j'avais passé ma vie à prendre au piège des sorcières, j'étais à peine excitée. J'ai ouvert mon plat de plastique, j'ai sonné à la porte. Elle est sortie en criant d'une voix aigüe et brandissait son balais.

J'ai reculé, elle était laide à s'en confesser. Encore plus vieille que sa maison, très peu de cheveux, le nez croche, pas de dents. Elle me poursuivait sur le balcon, je n'avais pas le choix, il fallait que je me défende, je lui ai lancé mon eau bénite en pleine face. Elle a crié, son cri s'est mêlé au tonnerre et il s'est mis à mouiller. On est parti en courant sans se retourner, on entendait encore ses hurlements sur la rue Panet.

Ils ont rasés la maison et ont construit des condos.