mercredi 10 septembre 2014

Décembre 1993

Le billet de Patrick Lagacé m'a rappelé mon père.

C'était 10 jours avant Noël. Je revenais dîner à la maison. Ce jour-là mon frère ne dînait pas à la maison et le bébé était chez ma grand-mère. En traversant la rue avec Jane j'ai vu l'ambulance et j'ai fait une joke trash de violence conjugale impliquant le voisin. Chez moi j'apprenais à banaliser la violence faite aux femmes.

La porte était pas barrée c'était pas normal. Les ambulanciers et les policiers ils étaient chez moi. Ils m'empêchaient d'aller dans la chambre de mes parents. Serge est sorti de la cuisine.

-Ton père a eu un petit accident.
-Où il est je veux le voir. Qu'est-ce qu'il a?
-Il s'est coupé.
-Ok, c'est pas un accident. C'est pas un accident, hein, c'est ça? Y a essayé de se tuer?

Serge, comme à peu près tout le monde, me trouvait beaucoup trop intelligente, intuitive et articulée pour une fillette de onze ans. Je me contentais jamais de demi réponses et je savais toujours quand on me mentait. J'étais tellement fâchée tout à coup.

-POURQUOI IL A FAIT ÇA?!
-Écoute ton père est malade...
-Il a juste à se soigner!

Je suis partie chez ma grand-mère et là-bas, on m'a dit qu'il y avait un message pour moi dans tout ça. Mes parents ont besoin que je les soutienne. Les écouter plus, arrêter de répondre. Arrêter de faire des caprices. Tabarnak, j'ai onze ans! Pis je suis pas gâtée, j'ai même pas de manteau pour l'hiver. Je suis partie et j'avais nul part où aller. Je me souviens d'avoir eu peur quand il a commencé à faire noir sur la Tario. Il faisait froid et j'arrêtais pas de penser à Noël. Il voulait gâcher le Noël de tout le monde comme ça. J'avais peur dehors, mais j'étais tellement en colère. C'est clair que mon père avait fait ça pour moi. Il s'était coupé les veines à 11h15 pour que je le trouve à 11h40 en revenant de l'école. Il a fait ça pour me punir, pour me manipuler. Pour me convaincre d'être une bonne fille. Fuck. Fallait-tu que je sois un monstre. Tuer son père à onze ans. Moi je l'ai fait. Mais il est pas mort. Il a pas assez coupé et il a appelé Serge. Il lui a dit qu'il voulait pas que sa fille le trouve comme ça. Ce qui voulait dire exactement le contraire. Il voulait que je le retrouve comme ça. Moi, sa petite fille de onze ans. Je m'en sortais trop bien pour une fille. Le genre de détail qui tue un père misogyne.

Les professionnels appellent ça un appel à l'aide. Quand tu te tues, tu écrases ton entourage. Tu l'étouffes. Comme ça, peut-être qu'ils vont comprendre. Quand il vont te trouver mort, il vont comprendre. Le suicide est un geste d'une violence indescriptible. Pas de doutes. Tu voulais que ça fesse.

C'est la journée de prévention du suicide. Tout le monde parle aux suicidaires. Moi je m'intéresse à ceux qui restent. C'est pas de votre faute. Non pour vrai. C'est pas de notre faute. C'est pas notre problème. On peut pas toujours sauver tout le monde. La seule personne coupable est celle qui tient le couteau. Ils disent partout que tu peux faire quelque chose. Fuck them. T'as fait tout ce que tu pouvais. T'as le droit d'être fâché. C'est vrai que c'est dégueulasse. Se suicider ça sert aussi à passer sa douleur aux autres. Prends-la pas. Refuse. C'est pas de ta faute. T'aurais rien pu faire. C'est son choix. C'est pas de ta faute quand quelqu'un d'autre se tue. C'était peut-être un message pour toi. T'as le droit de manquer un appel. T'as le droit d'ignorer un message quand c'est juste pour te faire sentir cheap. Les suicidés ont toujours tort. Toi t'es ici, du côté de la vie. Laisse-le mourir.

T'es intelligent, tu comprends que je te dis pas de pas être à l'écoute et de pas soutenir ceux qui en ont besoin. T'as compris que je te parle de la culpabilité après l'acte. Si t'es pas intelligent, tu peux me contacter j'ai des références pour t'aider à t'en sortir.

Si t'en as besoin tu peux contacter les services d'aide aux proches des personnes suicidaires, juste ici.
Ou les services aux personnes endeuillées par le suicide, ici.


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