J'ai vu un film en fin de semaine. Les scènes de sexe sont belles. Montréal aussi. C'est l'histoire d'une méchante salope. Une séductrice, qu'ils disent. C'est une fille dangereuse avec son rouge à lèvres, ses grands yeux et son béret, elle ensorcelle les hommes en lisant des histoires. Ça commence, tu compends qu'elle en impose parce que son ex pisse assis pendant qu'elle prend son bain. Le fantasme de toutes les filles tsé. Un meilleur ami qui pisse assis pendant que tu lui racontes tes rêves. Il lui tend sa serviette comme une enfant de cinq ans. Fuck, c'est lourd de signification ça. Moi je trouve. Ça veut dire que c'est une fille qui a tout ce qu'elle veut. Mais tout ça, c'est juste pour justifier qu'il lui donne un bain plus tard.
J'ai écrit ça quand j'avais 25 ans à peu près. Ça commençait comme ça mon histoire. Simon un écrivain souverainiste qui parle français rencontre May une anglophone riche et libertine, plus vieille que lui, il la recueille alors qu'elle vient de se faire violer. Il lui donne un bain. Le bain donné par le meilleur ami après le viol, ça existe juste au cinéma et dans les livres. Dans la réalité c'est souvent le meilleur ami qui te viole. Le bain, le lavage des plaies par quelqu'un d'autre, j'imagine que ça vient du besoin de faire reconnaître sa souffrance pour se réparrer. Une urgence de se reconnecter sur un homme qui serait pas un agresseur. Ça doit être pour ça aussi qu'en arrivant chez moi samedi, j'ai foncé sur lui et lui ai dit en tremblant : C'était vraiment dégueulasse. Va falloir qu'on fasse l'amour.
Dans le taxis, il regarde ses cuisses. Puis il prend sa jupe et la rabaisse pour la cacher. C'est vrai que des cuisses, faut cacher ça, maudite putain d'allumeuse. C'est presque pas dégueulasse de non seulement faire savoir à une femme que sa tenue n'est pas appropriée, mais pousser l'affront jusqu'à replacer ses vêtements, la toucher sans permission. Comme si c'était elle, dans sa tenue, qui l'agressait, lui. Ben oui. Pauvre petit animal bandé. Des petits gestes qui ont l'air innocents. Érotiques.
Il embarque sur elle sur le divan, elle lui fait savoir que ça va vite pour elle. Il proteste en disant qu'ils peuvent être amis si c'est ce qu'elle veut. Si c'est pas un psychopathe manipulateur, ça, je me demande bien ce que c'est. Tu veux ou tu veux pas? Décide! Tu veux me faire bander ou tu veux être ma soeur? Ça presse. Elle l'avait invité chez elle, elle s'attendait à quoi, hein? C'est comme un laisser-passer, une fois que je lui ouvre la porte je lui dois de quoi, c'est ça?
Il arrive chez elle pendant qu'elle passe la mope, elle le repousse à plus d'une reprise. Je sais pas si elle a dit non, mais il ne lui demande à aucun moment si elle veut. Ben oui elle se laisse faire. Méchante salope. Faut dire non combien de fois? Se débattre avec quelle force? C'est quoi le consentement? Quand tu jouis c'est pas un viol, tu penses? Dis donc ça à ton petit cousin qui venait malgré lui dans la bouche de son coach de soccer quand il avait onze ans.
Bien que ce serait normal pour une étudiante de tomber amoureuse de son prof, coercition pis toute, j'ai pas vu ça. J'ai vu une fille qui voulait avoir du fun et qui en a parfois. Mais rien de romantique. Pas d'amour. Sur quoi on se base pour prétendre qu'elle est amoureuse? Sur ses yeux qui clignent? Le fait qu'elle couche avec? Parce qu'une fille bien ne baiserait pas comme ça avec un homme sans amour, right? La preuve, c'est qu'elle se fera bien punir quand il comprendra qu'elle ne l'aime pas.
L'amour, c'est un sentiment à la fois bienveillant et euphorique. Être jaloux, possessif et violent ne signifie pas qu'on soit amoureux, mais malade.
J'ai vu un loser tellement minable qui méprise sa femme parce qu'elle n'accepte plus qu'il l'infantilise, il se cherche donc, une autre victime à dominer. Il lui signale un moment donné, comme tout bon mari violent, qu'elle n'était rien avant lui. S'il se sent comme de la marde, c'est forcément à cause des femmes. Il trouve ça cute une fille avec une poque sur la joue. Comme un bon dangereux mysogine psychopathe, il sait repérer ses victimes potentielles.
Méchant loser. Je veux dire, si tu t'identifies à cet homme, cours chez le thérapeute et demande-lui de te faire un prix parce que t'as de la job en tabarnak, c'est rien que ça que j'ai à te dire.
C'est la suite logique. Un loser veut posséder une belle fille. C'est impossible. Seules issues possibles : le viol, le meurtre ou les deux.
J'ai rien vu d'étonnant et pourtant j'ai pas arrêté d'être choquée. Je trouve ça difficile à regarder un viol. Et je me suis demandée comment ça se fait que j'étais capable d'en voir, d'en écrire, d'en rire. Parce qu'on parle pas d'un film d'horreur où je m'y attends. Je vois des viols partout et tout le temps. À tous les postes, à n'importe quelle heure. Serais-je capable de regarder des animaux torturés au cinéma? Voir un enfant se prendre une balle dans la tête dix fois par jour. Me dire que c'est juste de la fiction? Regarderais-je un homme se faire violer avec la même aisance que je regarde une femme? Et c'est la réponse à cette question qui me trouble.
Ça m'excite, moi ausssi. Je ne suis pas pour la censure, tout peut s'écrire, se filmer. De quelle manière et pour servir quoi? Ça fait partie de notre culture de violer les femmes. C'est comme quelque chose d'inévitable qu'on se représente esthétiquement, pas tant pour nier le traumatisme, mais pour le perpétuer sans se questionner. Banaliser. Mais ce n'est pas inévitable. Ce qui m'effraie, c'est pas le film qu'on a écrit, c'est celui que j'ai vu. Parce que je le reconnais. C'est qu'on imagine une histoire d'amour impossible, sans réaliser véritablement ce qu'on représente. La violence. Pas la passion. La folie. Pas l'amour.
La fille, elle s'en sort bien. Elle est indépendante. Libre. La fille s'en sort pas si maganée que ça, mais tu vois, c'est ça aussi, la culture du viol. Quand il faut qu'une fille se fasse violer un bon coup pour être une vraie femme. Ça fait partie des skills à développer pour se conformer, se qualifier. Regarde-la, elle est forte, elle est capable de rouler dessus avec son char, elle a pas besoin de porter plainte. Ça fait toujours du bien de se faire violer pour atteindre ses buts dans la vie. C'est pour nous rendre service qu'on nous viole au camp de vacances, dans les mines, dans l'armée, dans la police, chez les pompiers, à l'université, à l'hôpital, au parlement, aux douanes, à la banque, chez le dentiste, au gym, au bureau, en coulisses, dans les toilettes, dans le taxi, dans la boîte du camion ... et jusque dans notre propre lit.
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