Quand j'avais quatre ans, Yaelle s'est déguisée en Madonna. Mon père en revenait pas, mais c'était pas étonnant avec une mère monoparentale qui s'était jamais mariée comme la sienne. Moi j'avais juste le droit d'être une clown ou une fleur ou un tube de pâte à dents. Oui, j'ai été un tube de pâte à dents. Je me sentais vraiment pas bien. Même si les adultes me trouvaient originales et personne avait jamais vu ça. Moi, j'aurais voulu une belle robe. Des bijoux.
Dans mon temps il y avait Mitsou avec sa petite jupe. Mon père la détestait. J'avais pas le droit d'écouter Mitsou parce que Mitsou c'était une dévergondée. Je me souviens de cette petite fille qui l'imitait parfaitement à l'émission de Nathalie Simard et de mon père qui criait. Petite putain. Quels genre de parents laissent son enfant passer à la TV amenché de même comme une salope?
Et plus je lui demandais de justifier son opinion, moins je comprenais. C'était toujours quelque chose comme "Ça se fait pas." "Ça a pas de bon sens." "Je veux pas que ma fille ressemble à ça." À quoi? Mon père refusait que je ressemble à Mitsou? À moi-même? Il crachait sur mon identité. J'étais sa fille à lui et j'avais pas le droit de vouloir quelque chose qu'il ne voulait pas.
La fille avec du rouge à lèvres des tresses et des belles cuisses, elle disait : J'm'en vas, même si tu fourres comme un Dieu. Je serai plus dépendante de ton affection pis de ta grosse graine. J'ai peut-être rien que juste 17 ans, mais je sais où je m'en vais! C'est ça qu'elle disait Mitsou. C'est ça que je comprenais à 6 ans. Ben oui, tu peux dire que je suis une menteuse, t'es pas obligée de me croire. Mais à six ans, j'interprétais la chanson de Mitsou comme un cri, un méchant gros fuck you man, je décâlisse; et ça, ça me parlait beaucoup. Je comprenais aussi que Mitsou allait se trouver un autre chum et le fait d'avoir plus d'un partenaire sexuel pendant sa vie, ça me parlait. Je voulais pas être comme ma mère. Je voulais être libre.
Une chose certaine, je n'ai jamais porté de vêtement sexys pour exciter mon père. Jamais. Et je doute que ce soit l'objectif des petites filles qui choisissent des costumes sexys. Mon père, je l'ai envoyé chier de toutes les façons possibles avec mes vêtements. Et s'il vivait encore, je continuerais. Parce que chaque fois que quelqu'un se permet de juger et critiquer l'apparence de quelqu'un d'autre, il mérite de se faire envoyer chier solidement. Même par une petite fille de six ans.
À huit ans j'ai fabriqué mon costume avec ma mère et j'avais une méchante belle robe noire et rouge. J'étais une diseuse de bonne-aventure. Quand je l'ai mise pour aller à l'école, j'ai failli me mettre à pleurer. Pendant la nuit, ma mère avait cousu la craque de la jupe en avant, pour pas qu'on voit mes cuisses. Pour pas que je sois sexy. Mon père avait dit quand il m'avait vue que : j'étais trop jeune pour ça. Mais ça n'a jamais été clair, à quel âge j'aurais le droit de choisir. En fait son but était de me laisser choisir une fois qu'il m'aurait façonnée comme lui et que mes choix refléteraient ses idées, ses valeurs, ses convictions. Ce jour-là n'est jamais arrivé.
J'ai toujours cru, même si j'étais très jeune, que de m'empêcher de découvrir et d'exprimer ma propre identité sexuelle était une violence qu'on me faisait. Et j'avais juste hâte de partir pour devenir une pute et lui faire honte.
Et vos costumes à vous, les parents, ils ont l'air de quoi? Et qu'en est-il des autres jouets que vous offrez à vos petites filles? J'ai l'impression que ça vous scandalise moins quand elle vous demande une cuisinière rose ou une planche à repasser fisher price. Finalement dans le développement de vos enfants les limites sont fixés d'après vos tabous, vos petites maladies mentales et vos petites convictions de merde. Leur apprendre à réfléchir et leur faire confiance quand ils choisissent, c'est trop de travail, j'imagine. Quand on fait des enfants pour se projeter, ça finit toujours par faire mal.
Si vous pensez que c'est effrayant qu'on vende des costumes sexys pour petites filles, je trouve tout aussi effrayant que vous osiez le dire devant vos enfants. Car vous faites pire. On est jamais trop jeune pour apprendre le slut-shaming. Je pense que si vous accompagnez vos enfants comme du monde dans vie, si vous les éduquez, si vous les écoutez, si vous les aimez, si vous les respectez, vous devriez vous demander pourquoi vous ne pouvez pas leur faire confiance lorsque vient le temps de choisir sa tenue. Si tu veux pas que ta fille se maquille et s'habille comme elle veut, peu importe l'âge, je pense que tu devrais voir un psy. Essayer de comprendre c'est quoi qui te dérange là-dedans et d'où ça vient. Qui est responsable de cette image-là? L'image que tu te fais de la sexualité. L'image que tu te fait de tes enfants et de toi-même. Et toi quelle image tu projettes? Tu as le droit de te maquiller, mais pas la petite. Quand tu pognes les nerfs au magasin et que tu chicanes ta fille parce qu'elle a choisi le costume que tu veux pas, je pense pas que tu changes quelque chose au patriarcat et à l'hypersexualisation. Le problème en ce moment c'est qu'on s'attaque à des symptômes farfelus quand le mal est bien plus profond, bien plus complexe. Mais c'est plus facile de pointer des costumes de petites filles, de les culpabiliser et de culpabiliser les écoeurantes de mères qui permettent ça, que de se questionner sur toute notre approche de la sexualité et l'impact du marketing genré sur nos vies.
Et maintenant que j'ai dit tout ça, j'avoue que chez moi, les costumes et les jeux violents sont interdits. Pas de fausse arme à feu dans ma maison. Même pas de fusil à l'eau. Je m'en fous que tu aimes ça, que tu promettes d'être gentil, que ce soit juste pour jouer. Je n'argumenterai même pas, j'ai déjà décidé. Tu n'auras jamais en ta possession une réplique d'arme à feu, mon garçon. Et si quelqu'un d'autre te l'offre, je te le confisquerai devant cette personne pour m'assurer que mon message soit reçu... On a pas tous les mêmes tabous. Je devrais peut-être parler de ça avec ma psy.
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