mardi 18 avril 2023

L'histoire de l'arbre



Les messages ont commencé à 8h00. J'avais tellement de courriels à lire j'hésitais entre lire le premier ou le dernier, je les ai ouverts en même temps.



Il était question d'un arbre. C'est vrai, ils en avaient parlé à l'assemblée générale, ils voulaient garder leur arbre. Tu comprends que la marde a pogné quand il y en a un qui a vu par la fenêtre aux aurores, l'entrepreneur se diriger vers l'arbre. Le premier réflexe fût de m'appeler. Mais je réponds pas souvent le matin. Ils se sont donc mis à m'écrire. Des dizaines de courriel. Le premier mentionnait mes coordonnées et disait, si vous voulez sauver notre arbre, écrivez ou téléphonez à Chantal Montmorency.



Les gens commencent à s'attrouper autour de moi. 

-Qu'est-ce que tu vas faire?
-Je comprends même pas ce que j'ai à voir là-dedans.



Mon dieu. Quand les gens me surestiment de même ça me fait tout le temps freaker. Je gagnerais jamais aux élections, en dehors de mon petit royaume, je ne prends jamais de décisions. Je décide jamais rien. Penser que je peux faire quelque chose, ça me rappelle que je suis tellement loser. Tellement insignifiante. Incapable de réussir quoi que ce soit. 



Le chargé de projet arrive.



-Heille! Montmorency, va falloir que tu leur expliques qu'ils sont pas les boss du chantier. Sais-tu combien il coûte à l'heure le gars?

-Au prix qu'il coûte tu devrais y penser et consulter le groupe avant de faire n'importe quoi sur leur terrain.



Je décide d'ouvrir un courriel dans le milieu, celui de Éric. Il écrit bien, Éric, qu'est-ce qu'il en dit? Il dit que j'ai de l'influence, m'ordonne de l'utiliser. Mon téléphone sonne, c'est lui justement.



-Je te passe l'entrepreneur.

-Non attends t'es malade.

-Madame?!

-Bonjour.

-Là ça va vraiment mal à matin pis y en a un en train de s'attacher après l'arbre avec une chaîne trop pesante pour lui. Il va se faire mal là.

-S'attacher vous dites? (appuie sur mute pour avertir la gang du bureau) ILS S'ATTACHENT APRÈS L'ARBRE, ALLEZ CHERCHER UN BOSS.

-Heille j'ai pas rien que ça à faire moi, c'est sur le plan. Quessé que je fais là?

-(de-mute) J'aurais besoin de quelques minutes pour terminer de m'approprier le dossier, consulter un collègue et peut-être rechercher un avis juridique...

-Quoi?

-Je vais vous rappeler dans 10 minutes… Estie qu’ils sont intenses dans Villeray.



Le téléphone sonne encore. C'est Jean l'arboriculteur. Parce qu'il fallait qu'il y ait un arboriculteur dans la gang.



-C'est vraiment grave, c'est pratiquement un crime.

-Pratiquement. À peu de détail près, mais le diable n'est-il pas dans les détails.

-Si tu laisses ça arriver, le diable, Chantal, c'est toi!

-Wo.

-Y a juste toi qui peux faire quelque chose.

-Vous êtes très mal pris.

-C'est un grand orme centenaire Ok!

-D'accord.

-Je vous laisserai pas faire. Je suis quasiment sûr que c'est...

-Dis-moi Jean, est-ce que tu es attaché à l'arbre en ce moment?

-Non, j'ai pas réussi, mais on est tous autour, on partira pas. Dis à l'entrepreneur de pas le couper. Ça serait vraiment grave.

-On me dit que c'est sur les plans, l'entrepreneur va suivre le plan de l'architecte. Il s’en fout pas mal de moi, de toi, du pape. C’est l’architecte le boss.

-Ben regarde-le le plan, tu vas voir, ça change rien. Pis l’entrepreneur attend que tu le rappelles, j’ai dit que t’es la boss.

-Tu as malheureusement regardé l’organigramme dans le mauvais sens. Je regarde en ce moment le plan, l'entrepreneur va vous planter 3 arbres en avant et 2 dans la cour la semaine prochaine.

-C'est le petit fils du grand orme tricentenaire du parc Jarry, si vous faites ça...

-Comment peux-tu savoir que cet arbre est relié génétiquement à celui du parc?

-Je suis presque sûr.

-Bon, je dois rappeler l'entrepreneur dans quelques minutes et je dois parler à quelqu'un. Je vais rappeler Éric après.



-Chantal il faut que tu apprennes à les contrôler.

-Nenon, c'est pas ça ma job.


Je suis allée voir mon boss qui riait. Il a ouvert son tiroir et sorti le scotch.



-Non, là j'ai besoin d'aide pour vrai.

-Ben non.

-C'est pas drôle.

-Ben oui c'est drôle. Tu vas t'en sortir comme d'habitude. Anyways, c'est vrai que ça leur ferait du bien une leçon.

-Tu parles du groupe sous ma responsabilité ou des chargés de projet de la boîte? Juste pour être sûre.

-T'es comique. Envoye, aie un peu de courage pis profites-en pour les remettre à leur place. Après ça si sont pas contents, qu'ils m'appellent.



Je retourne à mon bureau avec le goût de pleurer.

Je reçois un texto.



"Deux journalistes s'en viennent."



Je me dis ayoye, sont beaux à voir pareil. C'est plate que ça soit tout le temps les mêmes qui perdent.



Second texto, super long. c'est sûr que c'est Éric.



"Chantal, il faut faire quelque chose avant qu'il soit trop tard. Nous risquons une poursuite. Je viens de m’entretenir avec le président du syndic de condo, comme tu le sais l’arbre se situe entre nos deux terrains. Je t’envoie une photo de la lettre qu’il vient de me remettre. Il me prévient qu’il nous poursuivra si on abat l’arbre. Il se rend à la cour pour obtenir une injonction, si on abat l’arbre entre temps, IL NOUS POURSUIVRA !!!"


Je suis retournée voir mon boss. 

-Pis?
-Ça se passe pas tout à fait comme prévu. 
-Comment ça?
-Je vais voir le chargé de projet, je te laisse appeler son boss, l'arbre reste. Tu veux pas que ça aille plus loin. Tu veux que ça s'arrête maintenant, Villeray, c'est une autre game. Appelez l'architecte pendant que j'appelle l'entrepreneur. 




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