lundi 16 avril 2012

Épinglez-en un à votre fenêtre

Il dit que le message c'est le carré rouge.
Oui, mais.
Je voulais ajouter ça.
C'est ma cause.
L'exclusion sociale.
Je parle rien que de ça.
Je viens de le réaliser drete là, à soir. La job alimentaire, l'écriture, la politique, la même cause.
Faire des boucles, c'est ma démarche d'artiste qui se gratte le nombril en effectuant des mouvements circulaires. Toujours des cercles.
Des cercles illogiques, des cercles parfaits.
Ça s'explique.
L'Écriture le sait déjà.

La première fois que j’ai volé un livre, j’avais treize ans. On n’était pas des voleurs chez nous. On était cassés, c’est bien pire. Je n’ai pas fait exprès de voler. C’est la bibliothécaire de l’école qui l’a volé pour moi. Elle m’a remis le livre que je renouvelais toutes les deux semaines. Poésies complètes de Nelligan. Elle en avait trente exemplaires qui ramassaient la poussière sur les étagères. « Garde-le. » Avec un clin d’œil et un beau sourire. Je l’ai gardé. J’ai compris : prends-le. Prends les livres dont tu as besoin. Elle avait pitié de moi. J’ai eu besoin de beaucoup de livres dans ma vie et je ne les ai pas tous payés.
En situation d’extrême pauvreté, ça arrive qu’on vole un peu de culture quand on en a besoin. Télécharger de la musique. Pirater le câble. Tout ce que les autres ont et jugent comme étant le minimum. Manger, lire le journal, aller voir un film. Le prendre, parce que c’est nécessaire. Je n’ai jamais aimé ça. J’ai toujours voulu m’en sortir, payer des impôts, aller au théâtre comme les riches.
Difficile à comprendre pour les petits enculés qui sont nés dedans. Le derrière bordé de culture. Ça semble accessible, c’est là pour tout le monde. Il suffit de travailler. Non. C’est là rien que pour eux autres, les riches. 
S'inscrire à l’université quand tu es née aux pieds du pont Jacques-Cartier à l’heure de pointe, ce n’est pas anodin. Ce n’est pas pour plaire à ses parents. C’est pesé, mesuré, assumé. Ça demande certains sacrifices. Décider de se battre pour s’en sortir, personne ne fait ça que pour essayer. Ceux qui ne réussissent pas; meurent cassés. 
S’ils veulent me renvoyer dans la rue, il faudra qu’ils me tuent. Je ne suis pas seule de ma trempe. Incognito, assis juste à côté des autres, nous sommes pas mal de cassés à vouloir poursuivre des études universitaires. Nous sommes habitués à faire plus avec moins. On n’est plus capables d’étirer l’élastique, ça va leur péter dans la face.  Nous sommes les premiers de nos familles à accéder aux études supérieures. Nous ne serons pas les derniers. Nous ne laisserons personne nous enlever le droit d’étudier. Nos enfants auront eux aussi la possibilité de s’instruire. 
Si on ne nous fait pas une place, il faudra tout faire sauter. Nos grand-mères ont fini de torcher leur sperme dans les chambres de motels cheaps. Nos mères ont assez servi de déjeuners pour dix cennes de pourboire. Nous ne serons pas porteurs d’eau comme nos pères. Nos ancêtres étaient les esclaves de leurs ancêtres. Je vous promets que c’est fini. Nous ne rentrerons pas à la manufacture. Nous ne reviendrons pas en arrière. Nous sortons des pires endroits, les bas fonds, là où ils n’élèveront jamais leurs enfants. Mieux vaut ne pas nous pousser à bout.

Vous pouvez aussi épingler un bébé et vous en servir comme pancarte contre la hausse.
Nous vaincrons.


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