dimanche 27 avril 2014

Si je te répondais directement, j'atteindrais le point Godwin dès la première phrase.

Stériliser les femmes qui se reproduisent de façon compulsive et dont les enfants sont placés. Ça a l'air d'une chouette idée. Mais bon, je me demande de quel droit on juge ces femmes. Et j'aimerais qu'on se questionne sur ce que sert ce clivage. Qui sert-il? Lancer de même que tu stériliserais des femmes en difficulté pour protéger des enfants qui n'existent pas encore, ça peut t'attirer deux ou trois ennemis. Surtout quand tu prétends défendre les droits des femmes.

C'est l'histoire de ma tante, de ma grand-mère. Et de tellement de filles que j'ai connues. Le petit dernier, on l'a jamais vu. Ma mère, mes oncles et mes tantes ont grandi dans des familles d'accueil plus ou moins agréables. Ils sont tous retournés chez ma grand-mère à l'adolescence, sauf le bébé, Kiki. Ma tante Kiki c'était une de mes préférées quand j'étais jeune parce qu'elle était toute jeune elle aussi. Ma grand-mère a accouché treize fois entre ses seize et ses vingt-huit ans. On lui a retiré la garde parce qu'elle était plus capable, violente, dépressive, négligente et parce que dans ce temps-là, on aimait ça regarder une mère divorcée dans la marde. Elle servait d'exemple. A-t-on vraiment changé?

Je crois qu'aucun de ces enfants ne regrettent vraiment d'être venus au monde. Malgré les coups, les viols, l'abandon, la drogue, l'exclusion, la prostitution, l'alcoolisme... Au delà de ces termes négatifs et des statistiques choquantes, y a de vrais êtres humains qui font juste vivre. C'est sûr que c'est pas sexy comme les problèmes de riches; l'angoisse de performance, le workolisme, les poupées de luxe. Les riches ont pas besoin de la DPJ, ils ont des gouvernantes et des nounous. Alors ce qu'on veut, encore une fois, en essayant de se faire passer pour quelqu'un qui défend le droit des enfants, ce qu'on veut, c'est juste d'éliminer les pauvres.

Quand la DPJ est capable de fournir 150$ par semaine par enfant en plus de donner accès à des services spécialisés, dans le privé. Ah oui, en effet, les enfants sont mieux ailleurs. Mais si on soutenait et subventionnait leur propre famille du tiers de ça, la plupart des enfants resteraient chez eux. Maudit qu'on est donc toujours pressé de retirer des droits aux femmes pour n'importe quelle raison. On aime ça diaboliser les femmes. Les juger et les haïr.

Les enfants abandonnés ne regrettent pas tous d'être venus au monde. Les enfants de ces enfants encore moins. Et nous sommes d'excellents contribuables. Nous sommes vos comptables, vos secrétaires, vos coiffeuses, vos mécaniciens, vos serveuses, vos femmes de ménage, vos jardiniers, vos cuisiniers. Nous construisons des maisons et nous éduquons vos enfants dans leur cpe. Pas pire pour du monde qu'on aurait voulu éliminer.


Les petits de ma tante, je les ai vus dès les premiers jours. Je les ai bercés. Je leur ai raconté des histoires. Je les ai aimés. Et quand les bras de l'état nous les ont arrachés, j'ai pleuré avec ma maman et ma grand-mère et je les ai attendus. Parce que leur famille c'est eux-mêmes, c'est nous. Et tous les enfants placés hors de ma famille ont fini par y revenir. Même s'ils n'ont pas grandi ensemble, ils se partagent la même mère avec ses défauts et ses qualités. Elle est aujourd'hui une grand-maman aimante et aimée de ses petits enfants.

Faut pas aimer vraiment la vie pour vouloir l'enlever aux autres si facilement. Faut vraiment être mal dans son corps pour avoir besoin de contrôler comme ça celui des autres.

11 commentaires:

  1. Je suis globalement d'accord avec toi, mais ne puis m'empêcher d'émettre mon opinion quant à un cas qui n'en est pas un de figure, mais bien réel : celui de ma petite sœur. On l'a prise avec nous quand elle avait seulement treize jours. Sa mère était une prostituée, son père, un voyou qui s'est dissipé dans la brume. Ma jeune soeur est une crack baby, du fait que sa mère consommait de la drogue durant la grossesse. Joyeux euphémisme, on avait dit à ma famille : cette petite fille aura des fragilités. Mon hostie de saint cul ! Cela dit, elle met ma famille à feu et à sang. Et cependant, depuis toujours, nous l'avons traitée comme si un ange l'avait déposée dans son berceau. Elle menace l'intégrité psychique et physique de tout le monde. Elle n'a que dix-neuf ans. Elle ne peut rien faire de sa vie, elle glandouille, elle est sclérosée dans l'âme. À Noël, elle aurait pu blesser les enfants de mon frère en propulsant furieusement son verre au mur, qui visait initialement la tête de mon frère ; elle l'a d'ailleurs rudoyé de coups avec une extrême violence devant sa toute jeune progéniture. Elle nous frappe tous au visage, elle agresse mes parents à coups de talons à aiguille, tout ce qu'elle sait dire à ma mère, c'est que c'est une grosse salope, une grosse demeurée, une grosse ci, une grosse ça. Elle donne des coups de couteaux dans les murs pour terroriser mes parents. Elle boit tout naturellement comme un trou, et elle fume du pot au point où sa psychiatre, sa psychiatre, tabarnak ! dit que ça serait fatal d'interrompre cette auto-médication. Mes parents, au fait, ils sont chenus, vieux, ils périclitent, elle leur prépare un cercueil avant le temps à force de les épuiser avec sa violence incessante. J'ai, pour tout dire, peur qu'elle les tue. Avec une arme, ou avec ses mains. Pense pas que mes parents ne cherchent pas de ressources ! Ma petite soeur voit des psychiatres, des TS, elle est abonnée à la police. En substance, la société te crisse un bébé intrinsèquement dysfonctionnel dans les bras, tu te dis, avec tout l'amour du monde ! simonak, je vais bien en faire une bonne personne, je vais tant lui donner d'amour et de soins que ce petit bout d'enfant va devenir un adulte noble. Eh bien non, ça ne finit pas toujours comme ça. (Suite à venir... excédé le nombre maximum de caractères)

    RépondreSupprimer
  2. (...suite) Heureusement, toutes les femmes dont il est question dans ton billet ne sont pas des junkies. C'est sûrement une petite minorité. D'ailleurs, pourquoi mettre tout le monde dans le même panier ? Pourquoi dire « les hommes », ou « les femmes » : ce sont pas des groupes respectivement homogènes ! Évidemment, c'est pas de sa faute à elle, c'est de la faute à qui ? Si on suit les racines jusqu'à la base, la société, je te dirais. Mais reste qu'elle a détruit ma famille. À titre de référence symbolique, ma maison familiale, jadis si belle, ressemble aujourd'hui à un taudis à cause d'elle. Elle brise tout, et mes parents sont dans un état de décrépitude telle qu'ils laissent tout se faner et se briser autour d'eux. Son comportement de bum n'a rien de neuf : on en fait les frais depuis qu'elle est enfant. Dès qu'elle a su parler, c'était pour nous insulter ; dès qu'elle a su agir, c'était pour voler, mentir, se battre. Son petit frère, idem. Ils se sont rencontrés, par hasard, à la Maison des jeunes. Il est tombé amoureux d'elle. Elle a fini par appeler la police, pour qu'il crisse le camp, ce jeune écervelé qui était son double. Ah, la police ! Sais-tu combien de fois la police est aller faire un tour chez mes parents, à cause de ma petite soeur ? Certainement une trentaine de fois. Et l'ambulance ? Cinq, dix fois ? Évidemment, ça ne doit pas tourner toujours comme ça. Faut pas. Je le souhaite pas. Mais comprends-tu qu'elle, j'aurais souhaité qu'elle ne vienne jamais au monde ? Je ne te dis pas tout de go : stérilisons des femmes ; en fait, je ne te le dis pas du tout. Je te dis : adopte une prise de position, mais sois certaine de connaître la réalité. Cette réalité-là n'est pas de pastel et d'or. Elle est crue, violente, méchante. Ma famille est morpionnée, elle a le cancer à cause d'elle. Mon père parle de se suicider à cause d'elle. Il a peur de la mettre à la porte, de peur qu'elle les tue, ou qu'elle mette le feu. Ma mère n'a plus d'estime d'elle-même : elle est le réceptacle des crachats de ma soeur. Mon autre soeur, celle-là saine, ou du moins qui essaie, et qui vit avec eux, est un petit oiseau devenu mystifié et peureux. Moi aussi je suis de gauche, moi aussi je suis pour la justice, l'équité, le droit des uns, le droit des autres. Mais tu fais quoi des droits des gens ordinaires, qui voudraient mener une pas pire vie ? La liberté des uns finit là où celle des autres commencent. Ma petite soeur bouffe la liberté de tous les autres. Si dans un élan d'humanisme inconcevable tu lui tendais la main, te sentant capable, toi, de la sauver, tu sais quoi ? Elle te frapperait, te pisserait dessus, elle te mordrait l'âme comme une cinglée, comme elle a fait avec tout le monde. Moi, j'ai l'impression d'avoir été frappé par un train. Je me questionne sur cette histoire. Je cherche le point d'équilibre entre l'amour et la haine. Parce que l'amour, à son endroit, il n'en reste pas beaucoup. Peut-être seulement un peu de compréhension.

    RépondreSupprimer
  3. Je comprends très bien ton point de vue. Je connais parfaitement la situation que tu décris. J'ai vécu tout ça. Le verre dans le mur à Noël, les petits traumatisés, les couteaux, exactement. Je sais ce que c'est de s'endormir avec la peur, en tremblant. Avoir peur d'être tué, peur d'être obligé de tuer pour se défendre, penser au suicide pour y échapper. Je sais comment on se sent quand on hait à mort quelqu'un qu'on aime. Quelque chose proche du choc post-traumatique. Ça ne nous quitte plus vraiment.

    Ta soeur ne devrait pas rester avec ta famille. Vous ne pouvez plus intervenir. Tu as raison, l'amour n'y peut rien dans son cas. Vous n'avez pas à subir ses agressions. Pis quand on est de gauche, on est conscient de ces situations et on sait que toute la société doit prendre le relais, parfois. Parfois il ne suffit pas de trouver une famille à un enfant. La famille devrait pouvoir rendre ta soeur à la société et qu'elle soit prise en charge. Adéquatement. Complètement.

    Elle souffre probablement beaucoup. Ça n'excuse rien, je sais. Vous avez donné beaucoup, elle a beaucoup pris. C'est le pari qu'on fait chaque fois qu'on décide d'avoir un enfant. Après il y a des situations plus risquées que d'autres, c'est sûr.

    La petite Suzanne avec qui j'ai travaillé dit toujours que des ses cinq enfants, celui avec lequel elle a le plus de soucis, c'est le seul qui n'est pas adopté.

    On ne sait jamais. Je comprends qu'on puisse être épuisé, blessé et à bout de ressources comme vous l'êtes. Au point de souhaiter qu'elle ne soit pas venue au monde. Oui, ça se peut. On est humain. Mais on ne peut prévoir ça à l'avance. On ne peut empêcher quelqu'un d'avoir un enfant au cas ou celui-ci tournerait mal. Je n'arrive même pas à croire qu'on puisse y penser.

    On n'a pas le droit d'empêcher un enfant de naître à cause de ses origines. On n'a pas le droit d'empêcher une femme de se faire avorter, on n'a pas le droit de faire l'inverse. Cette décision n'appartient à personne d'autre que la femme.

    Moi, j'en reviens tout simplement pas que je sois là à expliquer, à débattre et à argumenter sur mon droit ou non à la vie. Fuck. Qu'est-ce qu'il faut prouver pour avoir le droit de venir au monde?

    RépondreSupprimer
  4. J'avais mis des heures à te rédiger une belle réponse pis ça a planté, estie. Fait que ça a donné la réponse garrochée en haut, mais je me souviens que la première fois, ça ne se terminait pas comme ça. Ça finissait par, merci Guillaume d'avoir partagé ça ici.

    RépondreSupprimer
  5. Je te répondrai sous peu, Internet est difficilement accessible ces jours-ci.

    RépondreSupprimer
  6. Je suis un grand amateur de la logique, mais en matière de sciences sociales, de problèmes sociaux, il appert qu'il est difficile de raisonner strictement avec le cerveau. Certains individus hautement mathématiques et scientifiques, de par leur tempérament, que je connais, sont parfois d'une froideur qui déconcerte. La société, ce n'est pas A + B - B = A. On n'efface pas ce qui ne fait pas notre affaire pour s'alléger l'esprit. En contrepartie, raisonner avec le coeur m'apparaît être un tout aussi grand problème (quand je donne et que je redonne et redonne encore de l'argent à des itinérants, que je vais même retirer pour eux au dépanneur, il semblerait que ce ne soit pas une bonne chose : on m'a dit que ça pouvait nuire à leur essor réel, à leur prise en main - est-ce vrai ? je n'en ai aucune idée, je n'ai jamais réfléchi qu'avec la sensibilité de l'instant, en cette matière).

    Je vois d'entrée de jeu quel problème la stérilisation pourrait amener : on stériliserait une femme déchéante, violente, immensément droguée, inconsciente, frôlant la psychose, ce serait une chose ; mais ensuite, certains individus pourraient tirer argument de cette expérience pour répéter l'acte sur des personnes ayant seulement quelques problèmes passagers. Ensuite, que serait-ce ? On voudrait faire cela sur les pauvres, sur les itinérants, et sur qui encore ? Ce serait une extrapolation d'événements grotesque et choquante.

    De toute façon, il est beaucoup plus intéressant de s'attarder aux racines du problème. S'il y a des personnes (si on exclut les personnes qui le font par choix) qui se prostituent, qui sombrent dans la drogue jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de retour possible, qui vivent dans une pauvreté méchante qui ne leur laisse aucune chance, c'est parce qu'on vit, à une échelle globale, dans un système monétaire extrêmement aberrant (de même qu'au beau milieu d'un tissu de valeurs sociales mal agencées ; mais ça, c'est une autre chose). Le capitalisme. Cela dit, bien que je veuille décrier le capitalisme dans mes écrits, je ne suis pas un anarchiste. (J'irais même de cette digression : si les gens veulent des maisons ou des condos, je ne m'oppose pas de prime abord. Bien sûr, ça dépend où ça pousse. Car je ne vois pas l'intérêt de se faire fourrer par un propriétaire toute sa vie ; car si ce n'est pas, ça, être soumis monétairement ?)

    Je n'adhère pas à aucun groupe de valeurs en bloc. Ce serait par trop dangereux pour mon esprit critique. Pour te fournir quelques exemples analogiques, j'adore infiniment la science, en contrepartie je trouve quelquefois ses représentants froids et bornés ; j'aime beaucoup les hippies, mais il m'arrive de croire que leur pensée manque de fondements logiques. J'aime les gens de gauche, mais je ne saurais souscrire à une kyrielle d'idées que je n'ai pas moi-même examinées. Avec tout, j'en prends, j'en laisse.

    J'en ai contre le concept de syndicat. Par là, j'entends : la défense d'un groupe bien précis. Moi, je ne veux pas défendre tel groupe ou tel groupe, mais TOUS LES GROUPES. Un syndicat, ça s'occupe des employés, par exemple. Vivent les syndicats ! Sans eux, que d'employés vivraient des situations médiocres et déplorables. En revanche, un syndicat, ça peut exagérer. Je le sais, j'ai travaillé auprès d'un syndicat qui était parfois abusif. Dans une entreprise, je dirais : pourquoi il y aurait pas, au lieu d'un syndicat, un organe intermédiaire, qui ne prend ni pour l'employeur, ni pour les employés ?

    Je suis pour le droit des femmes, mais je suis aussi pour le droit des familles.

    Je ne procède donc, en réalité, à aucune adhésion morale envers un groupe bien ciblé.

    Plutôt, j'établis une hiérarchie de valeurs : au sommet de celle-ci : l'amour et l'harmonie.

    RépondreSupprimer
  7. Pour chaque cas unique, j'ai non pas une proposition unique, mais un éventail de propositions. Aussi, un être humain, seul, ne peut jamais que proposer : c'est collectivement que nous devons établir des hiérarchies de valeurs.

    Les « droits », j'ai de la difficulté avec ça. Jamais, au grand jamais je ne mettrai « les droits de tel groupe » au haut de mon échelle de valeurs. Pour moi, ce sera toujours l'amour et l'harmonie : car si deux groupes auxquels je prends part devaient s'affronter, je devrais alors trancher, l'un étant plus haut que l'autre dans ma hiérarchie ? Non, je trouverais un compromis.

    Je ne voudrais pas avoir à trancher, en l'occurrence, entre les femmes et les familles. Ma décision serait donc non pas noire, non pas blanche, mais grise.

    Je reviens au débat qui nous préoccupe. À partir de quel moment peut-on dire qu'on décide pour soi-même, et à partir de quand ne décide-t-on plus pour soi ? Les droits, les droits : c'est un concept. Imagine que ta valeur suprême soit la liberté. Ainsi, pour toi, la liberté est un droit. Voici un schizophrène paranoïde en pleine psychose qui poignarde des gens dans le métro. Voici, quelques minutes plus tard, des services d'urgence qui interviennent. On prive cet homme, qui n'a plus sa tête, de sa liberté. On l'interne éventuellement. Viole-t-on ses droits ? Ou a-t-on agi dans un intérêt supérieur à son identité seule, qui est celui de la collectivité ?

    Ou si une femme, meurtrière d'enfants, disait vouloir un enfant : devrait-on lui permettre d'avoir un enfant, sur la base de ses droits, en dépit d'une prédiction funeste ?

    Peut-être, qui sait.

    Je suis constamment à la recherche de l'amour, mais l'amour ne doit jamais être du côté de la naïveté. C'est pourquoi j'aime aussi le mot harmonie. L'harmonie entre les individus. L'harmonie sociale.

    Je ne dis ni oui, ni non, à la stérilisation : ce n'est pas à moi de décider. Mais cette option, dans les cas particulièrement extrêmes, ne me semble pas dénuée de sens.

    Tu ne dois pas t'étonner que les gens aient des avis qui diffèrent du tien. Ce qui te semble couler de source, être impeccablement logique, être impeccablement humain, peut être une abomination pour ton interlocuteur. Par exemple, l'avortement. Je suis en faveur. Mais je peux comprendre que pour des personnes, ce soit inadmissible. Pour eux, c'est le meurtre d'un enfant. Car il y a parfois des avortements tardifs, mal réalisés, et ça vit déjà, ça palpite déjà, ce petit être ! Je suis capable d'épouser une opinion et son contraire.

    À tout prendre, tu touches un point extrêmement intéressant. La stratégie que tu proposes est celle que je serais d'accord d'adopter. Tu dis qui la société, dans un cas comme celui qui concerne ma famille, devrait être impliquée. Totalement. Exactement. C'est bien ça. Mais justement, la société aurait dû être là depuis LE DÉBUT. Ça devrait être, dès le départ, un projet où conjointement société et famille agissent. Car dans les faits, ça n'a pas été comme ça. Dans les faits, on te fiche un bébé hyper dysfonctionnel dans les bras, et tout le monde est surpris. Les profs, les TS, les médecins, toute la gang : personne ne sait quelle histoire il y a derrière cet être. Personne. Les parents passent pour de mauvais parents... Et au fil des ans, ils se font vampiriser par leur propre enfant. Et crois-tu qu'aujourd'hui on peut la livrer à la société, qui prendrait le relais ? Impossible.

    RépondreSupprimer
  8. Bien sûr, qu'elle souffre. Dans l'aptitude à la gestion des émotions, elle part plus bas que tout le monde, du fait que son cerveau, d'une certaine manière j'imagine, a été touché. Ensuite, elle est rejetée depuis qu'elle est petite. Les enfants, ça peut être mesquin, ça cible très vite la différence, et ça l'exclut.

    Tu vois, je serais en faveur de cette stratégie-là. Impliquer la société. Mais serait-ce seulement idéalisme loin de la réalité ?

    Ultimement, mon avis, ton avis, ce ne sont que deux avis. C'est socialement que les gens doivent décider. Je ne suis pour, ni contre, pour être honnête. Mais une chose est certaine : je suis en faveur que la société sache quel gâchis ça peut engendrer. Après, le cas de ma petite soeur est-il du domaine de l'exception, ou relativement courant ? Ces histoires-là sont secrètes, on ne le sait guère. Il faudrait des études.

    Mais c'est certain qu'il ne faut pas balayer d'autres problèmes sous le tapis. Ma petite soeur est un signal d'alarme d'un problème infiniment plus grand. Quand il y a l'alarme de feu qui part, alors que le feu est dans la maison, tu n'éteins pas l'alarme pour ensuite aller te coucher.

    RépondreSupprimer
  9. Non! C'est faux, tu ne nuis pas aux personnes à qui tu donnes. Et ce même si c'est pour s'acheter du crack. Si je veux du crack, de la coke, du smack et que j'en veux tellement, jusqu'où j'irai? Quêter, voler, faire des clients... Chaque fois que tu donnes, tu aides. Ça s'appelle, la réduction des méfaits. Aussi, c'est tout à fait normal de se faire envoyer chier quand on veut payer le déjeuner à quelqu'un qui demande de l'argent. Je pense que la meilleure façon d'aider quelqu'un à se prendre en main, c'est en traitant cette personne avec dignité. Si elle me demande de l'argent, c'est ce que je lui donne. Sans aucun jugement de valeur sur ce qu'elle en fera. Je peux lui proposer autre chose, mais j'ai pas à décider pour cette personne. J'ai pas à la mépriser si elle n'a pas envie de faire ce que je veux comme une catin juste parce que c'est moi qui ai le cash.

    Je ne juge pas chaque personne qui s'achète une maison ou un condo, mais je juge ce système, je dénonce les inégalités qu'il crée. Et j'expose mon dégoût pour ceux qui, sciemment, planifient s'enrichir en achetant-vendant que ce soit son propre toit ou celui d'autrui. Une maison, devrait servir à se loger, pas s'enrichir sur le dos de celui à qui on la vendra. Y a un modèle que tu n'as pas nommé, c'est la coopérative. Je suis propriétaire, mon loyer n'enrichit personne, mais mon logement ne me servira jamais de capital. Si je pars, je retire ma part de membre et quelqu'un d'autre prend ma place sans que le loyer soit augmenté. Et 50% des logements de la coopérative sont subventionnés un peu comme des HLMs. Je suis donc obligée de cohabiter avec des gens de cultures et de classe financière différente de la mienne, mais je n'enlève pas la place à quelqu'un qui en a besoin. On doit s'entendre. Je connais le nom de mes voisins et leurs enfants. Ah oui, c'est compliqué, y a de la chicane, de la marde, comme dans la vraie vie. Mais on est tous égaux, personne n'a de pouvoir sur personne.

    Je ne connais pas assez le monde syndical pour vraiment prendre parti, à la base, je suis plutôt pour les gens qui s'organisent, mais je ne connais pas assez ça. Tu es peut-être plus anarchiste que tu penses. ;)

    Je ne connais pas les statistiques exactes, mais c'est certain que le cas de ta soeur n'est pas unique. Pas la norme non plus. Pas du tout un secret en ce qui me concerne. Je pense que peut-être la DPJ a évolué là-dessus. Lors des rencontres auxquelles j'ai assistées on nous a fait part de possibilités semblables. Ou peut-être que c'est moi qui en suis juste consciente. Il y a des études là-dessus. La droite s'en sert entre autre pour justifier la guerre à la drogue.

    Je sais par expérience que c'est souvent trop difficile et épuisant d'intervenir auprès de ceux qu'on aime. Quasiment impossible de les sauver sans se noyer. Et les services manquent, c'est ça le problème, comme tu dis, fallait être impliqué, dès le départ. Ta soeur a un chemin difficile, mais on sait pas où elle va. Elle pourrait être mille fois mieux accompagnée par des services et des gens compétents.

    Je pense qu'on ne devrait pas priver un individu de ses droits sauf s'il représente un danger réèl et immédiat pour lui-même ou les autres. On ne peut pas brimer les droits de quelqu'un sur des suppositions. J'applaudirais si les services d'urgences internaient les personnes en psychose avec une arme blanche au lieu de leur tirer dessus... On exécute les gens différents dans la rue, c'est dans cette société qu'on vit.

    T'es pas idéaliste et moi non plus, cette réalité de merde n'est pas obligatoire.

    Tu sais, j'ai quelques meurtriers et meurtrières dans mon arbre généalogique, on ne finit pas tous comme ses parents. C'est imprévisible. Vraiment imprévisible.

    RépondreSupprimer
  10. Merci, c'est très constructif comme échange d'idées.

    C'est intéressant. Tu es la première personne qui me dit que donner à un itinérant (même si on sait que c'est pour de la drogue), ce n'est pas une mauvaise chose. Pourtant, toutes les personnes qui m'avaient dit le contraire, c'est du monde généreux, bien intentionné et altruiste. J'imagine que les deux attitudes se valent. Dans un premier cas, c'est le soulagement à court terme ; dans l'autre, la fameuse prise en main dont je parlais.

    D'ailleurs, je n'ai jamais dit que je proposais de la nourriture plutôt que de l'argent (quoique ça puisse arriver aussi, et parfois c'est le bienvenu). Quand je parlais du dépanneur, je parlais de retirer de l'argent.

    Quand je parlais des condos, tu auras compris que je m'opposais non pas à ta pensée individuelle (que est évidemment nuancée), mais à un élément qui correspond à un certain ensemble de valeurs. On peut globalement être en accord avec un ensemble, mais pas avec tout ce qu'il contient.

    Oui, je suis peut-être anarchiste à ma façon. Mon but est d'écrire des livres qui dénoncent, et éventuellement d'offrir une partie des fonds amassés aux causes concernées dans lesdits bouquins.

    Quant à ta formulation : « Je pense qu'on ne devrait pas priver un individu de ses droits sauf s'il représente un danger réél et immédiat pour lui-même ou les autres. » : on s'entend là-dessus à peu de choses près. Je retirerais simplement le mot « immédiat ». Un grand psychotique, qui l'est toute sa vie : la notion d'immédiateté est où ? L'immédiat, ça peut être toute sa vie. Mais c'est certain que c'est complexe, car après, qui décide du niveau de dangerosité des individus ?

    Je suis un idéaliste, je te dirais, mais un idéaliste tempéré d'un peu de cynisme. Naïf, mais toujours prêt à mordre.

    Quant à ton dernier point : moi aussi, je crois que les patterns ne se répètent pas nécessairement. Ce n'est pas parce que ton parent est comme ceci ou comme cela que tu seras comme lui. Je n'ai rien à voir avec mes parents, je trouve. Je me suis construit selon ma volonté. Quand je référais à un parent meurtrier d'enfants, c'était un exemple pour dire : « En espérant qu'il ne tue pas son kid, s'il en a un... » ; j'énonçais donc ce point dans une optique de sécurité.

    Bon dimanche par chez vous,

    G.

    RépondreSupprimer
  11. Merci à toi. Très constructif, je suis d'accord.

    Non je t'assure, empêcher quelqu'un de se procurer de la drogue ne favorise en rien sa prise en main. Tout le monde a le droit de ne pas donner, je juge pas ça. Mais ça n'aide pas les gens de ne pas donner. Ça ne leur rend aucun service. Empêcher quelqu'un d'atteindre ses objectifs, ça ne l'aide aucunement. Il va pas se lever demain en disant "j'en ai assez de cette vie j'en prendrai pus de drogue c'est trop compliqué" juste parce que tu lui as pas donné d'argent. Peut-être qu'il se réveillera pas parce que le manque c'est dangereux. Peut-être qu'il va commettre un crime pour s'en procurer. Et après c'est encore plus difficile de revenir en arrière. Quand tu donnes à quelqu'un, tu réduis les méfaits que cette personne pourrait commettre sur elle-même ou sur les autres. Quand tu atteints tes objectifs et réussis à assurer ta survie, quand tes besoins de base sont comblés tu vas mieux et tout est plus facile. C'est pas vrai qu'une personne au fond a besoin de se rendre encore plus bas pour remonter. Tu vois je crois pas non plus que tout soit noir ou blanc. On est pas gentil ou méchant, bon ou mauvais, drogué ou réhabilité. Des fois tu pars sur une dérape solide et bien souvent c'est justement tous ces petits coups de mains mis ensemble qui feront que ce sera plus ou moins facile de s'en sortir. Quand tu pars sur une dérape on peut essayer de te retenir malgré toi, pour ton bien et risquer que tout le monde se fasse câlissement mal. On peut s'en foutre ou baisser les bras parce qu'on est découragé, dépassé ou blessé et te regarder t'écraser contre un mur. On peut essayer d'être disponible, à l'écoute, attentif et respectueux, tendre la main quand c'est possible. Souvent je donne pas d'argent, je donne un sourire. Je donne deux trois minutes et c'est moi qui reçois le plus. Mais ça, c'est pas vraiment possible avec quelqu'un à qui on est attaché.

    J'écris à la deuxième personne, mais je parle pas de toi nécessairement. L'histoire du gars indigné parce qu'il s'est fait envoyer chier après avoir voulu payer le repas de quelqu'un, c'est un classique. Je disais pas que c'était toi. C'est un exemple de comment on peut être tenté de contrôler ceux qui ont besoin d'aide plutôt que de les soutenir réellement.

    Merci. Passe un beau dimanche gris, toi aussi.

    RépondreSupprimer