samedi 8 mars 2014

Un témoignage abolo

J'ai lu ce texte avec attention, quelque chose me chicottait pendant. Quelque chose que j'ai compris en arrivant à la fin. En lisant le pseudonyme. Les références proposées. Est-ce que ce texte a réellement été écrit par une femme? Si oui, je n'ai rien à dire. Mais je me demande si, peut-être, ça n'aurait pas plutôt été écrit par un collectif de femmes abolitionnistes? J'aime ça les théories du complot. Et le lobby abolitionniste, il est fort et très rusé. Si ce texte a été écrit par une femme au sujet d'elle-même, je n'ai rien à dire. Rien.

Si ce texte a été écrit par plusieurs femmes dans le but de créer un personnage pour manipuler l'opinion des gens, c'est assez dégueulasse. Exprimer une réalité à travers un personnage fictif en faisant croire qu'il existe, je trouve ça grave. Surtout quand on dit quelque chose comme : "Toutes les femmes qui se vendent finissent par se faire violer." 100% des femmes, vraiment? Est-ce que ce sont toutes des femmes qui se sont faites violer ou alors on se rapporte à une affirmation précédente qui dit : "Je survis au dégoût que je ressens chaque jour de vivre dans une société où les hommes ont le droit de payer une femme pour jouir, parce que je sais qu’être payée pour faire jouir un homme, c’est pareil comme se faire violer à répétition à la longue, en plus d’être vraiment dangereux." Mais, ce serait pas justement parce que c'est un métier à prédominance féminine que c'est une job de marde? Soyons honnêtes, toutes les femmes sont victimes de violences sexuelles pendant toute leur vie. Ça, je n'en doute pas. Les travailleuses du sexe, plus que toutes les autres, évidemment. Parce qu'elles n'ont pas accès à la reconnaissance et sont obligées de travailler dans la clandestinité, ce qui les rend vulnérables.

Nier qu'il y a une minorité de filles qui vivent le métier autrement, c'est pas correct. Si c'est une fille qui a écrit ça, je n'ai rien à dire. Je comprends. Enfin, je comprends peut-être pas, mais j'accepte. Si c'est la vraie histoire d'une vraie fille. Sinon, je répondrais que la sécurité est ce qui motive celles réclamant la dé-criminalisation de la fille et du client. Je dirais qu'on mélange le travail et la violence dont en sont trop souvent victimes les travailleuses parce qu'on a associé ce métier à la violence. Parce que c'est un travail de femme et aussi parce qu'on associe le sexe à la violence. Parce qu'on accepte les violences sexuelles  faites aux femmes. Quand on te viole, c'est une punition pour avoir fait ce travail, non mais à quoi elle pensait, la pauvre petite. Quand tu es violée, on te fait toujours sentir après que tu aurais pu l'éviter. Tu te sens responsable.

C'est acceptable en société de payer une pute pour l'humilier. Le problème, c'est pas que deux adultes consentants choisissent de le faire en impliquant une rémunération. Le problème c'est que dès qu'on paye une femme pour quelque chose on se pense tout permis et on s'en sert pour dominer. Ce qui fait qu'on ne sait plus pourquoi on paye une pute. Pour avoir du sexe ou du pouvoir? Et même quand ça n'implique pas d'échange d'argent, à quoi sert le sexe et comment est-il vécu aujourd'hui? Dans notre monde on partage bien peu, on échange toujours quelque chose. En espérant mieux en retour.

Combien de femmes mariées, même de mon âge, sont souvent en situation de dépendance et de vulnérabilité? On se dit qu'on se marie parce qu'on est féministe, il est féministe lui aussi, il fait de son mieux pour corriger les inégalités de fait, il partage sa retraite, on fait plus de lavage pour compenser. C'est écrit dans le contrat, chacun des époux fait ce qu'il peut. On a juste choisie une forme de prostitution plus sécuritaire. Règlementée. Moins humiliante. Moins violente. On est fière d'être la femme de. C'est un bon gars, un féministe. On l'a choisi.

La femme est libre? Libre de quoi? Une fausse libération psychologique et sexuelle, la liberté de toujours dire oui. La pression de jamais dire non. Elle est soumise à toutes sortes de codes vestimentaires et de codes de conduites. Elle se doit d'être tout le temps parfaite. Qui parle de ça? On ne peut pas aller jusque là parce qu'il faudrait critiquer les fondements du système. Contentons-nous de mettre fin à la prostitution.

Les conditions de travail des femmes en général sont médiocres. Quand t'es obligée de te cacher parce que tu fais un métier comme ça, c'est décuplé à l'extrême. De sorte que seule une faible minorité puisse y trouver son compte. Alors tu te retrouves avec des filles comme moi, qui refusent l'image dépeinte dans cette lettre, sachant tout de même que c'est presque tout le temps la réalité. Mais pas tout le temps. Et plutôt que condamner toute la patente, on devrait condamner la violence faite aux femmes. Si la prostitution est une violence faite aux femmes demandons-nous si c'est obligatoire que ce le soit. Demandons-nous pourquoi. Quand on refusera en tant que société que des femmes prostituées soient violentées, elles oseront dénoncer. Tant qu'elles demeurent dans la clandestinité, elles sont en danger. Et tant qu'on nie les droits des femmes, comme le droit au travail, à la liberté de religion, à la sécurité et à la santé, en leur refusant la reconnaissance, d'autres continueront d'en abuser.

Je veux bien rêver d'un monde sans prostitution, sans travail, tout court. Un  monde comme les représentations de la terre après le jugement dernier dans les pamplets des témoins de Jéhova. Où l'on vit dans l'abondance au milieu d'un décor paradisiaque avec une chute d'eau, du soleil, un pique-nique des calinours et juste de l'amour. Oh oui, je veux. Je suis partante pour y travailler, tous ensemble, tout de suite. D'ici à ce qu'on y arrive, des femmes tous les jours sont victimes de violence, parce qu'elles sont des femmes. Pas parce qu'elles sont des putes.

Ne vous en déplaise ce ne sont pas que "Les hommes" qui poussent les femmes à se prostituer, mais tout un système. Il y a peut-être une forte demande, sur laquelle il est intérressant de s'interroger, même si au fond on sait que la seule réponse, c'est l'éducation. Posons nous la question suivante : Pourquoi une femme en vient-elle là? Quels sont ses choix? Est-ce normal qu'une femme échange des services sexuels contre de l'argent pour subvenir à ses besoins? Si tu décides que non, je respecte ton opinion, mais contente-toi pas juste de dire non. Cherche pourquoi. Déconstruis.

Quels sont ses choix? Osez-vous juger ses choix? Qu'est-ce qui est fait concrètement? Et comment on compte s'y prendre pour abolir la prostitution? Par quoi est-ce qu'on veut la remplacer? Parce que c'est une économie comme une autre, puisque vous acceptez ce système économique tel qu'il est, comment remplacer la prostitution et ses retombées économiques? Vous prétendez que ce n'est pas un travail, mais ça permet quand même à des tas de femmes de subvenir à leurs besoins. Quelles alternatives avez-vous proposées?

C'est noble de dire que le grand prix c'est de l'exploitation des femmes. Comment ça se fait que c'est la seule façon pour une femme de faire un coup d'argent? Travailler pendant le grand prix, c'est comme le black friday des commerces américains, le moment de l'année où les finances des filles reprennent le dessus parce que les touristes, ils payent. Coudonc, le problème est-ce que c'est que les filles fassent de l'argent tout court? Elles devraient se contenter d'être infirmières. Mais qu'est-ce que notre foutue société patriarcale et capitaliste de merde a à offrir à une fille ambitieuse et pressée en dehors du travail du sexe? Ce serait mieux d'aller se faire chier aux HEC aux côtés d'hommes qui de toutes façons seront payés deux fois mieux que toi pour traiter leurs employés comme des putes. Parce que c'est toujours celui qui a de l'argent dans les mains qui mène, que tu gardes ton linge ou pas, tu vas faire ce qu'il te dit pour un biscuit, comme un chien. Et même si tu vas au HEC quand t'es une fille tu as bien plus de chance de finir employée que directrice de n'importe quoi.

L'abolitionnisme romantique anglais du dix-neuvième, visait l'abolition des lois règlementant la prostitution sans pourtant la réprimer afin de cacher à tout prix une activité honteuse. Ça n'existait pas. C'est ainsi que se pratiquait l'exclusion sociale des travailleuses du sexe. On vous invitait poliment à disparaître en vous ignorant. Pas facile d'accéder à des soins de santé et de faire respecter ses droits quand tu es invisible.

Le néo-abolitionnisme moderne, c'est encore de refuser que les travailleuses du sexe soient reconnues comme des citoyennes et contribuables à part entière. On ne veut pas les pénaliser. Mais on pénalise le client et le proxénète. Quand le client et le pimp ont de la pression c'est sur la fille qu'ils la transfèrent. La prostitution devient un problème. Il faut en finir avec. Fini les prostituées. C'est comme ça qu'on écrit des discours et qu'on remporte des élections. En identifiant des problèmes en disant que c'est la faute de ceux qui étaient là avant et en exigeant qu'on y mette fin sans avoir une câlisse d'idée du commencement d'un début de solution. Juste de la répression, mais à l'extérieur du cadre judiciaire, dans le cadre social. C'est ainsi que se pratique l'exclusion sociale des travailleuses du sexe de nos jours. On ne lui souhaite pas de mal, mais quand ça arrive on lui dit qu'elle aurait dû être serveuse. Pas facile d'accéder à des soins de santé quand on te considère comme une victime coupable et que tout le monde a son mot à dire sur ta façon de mener ta vie. Tu soignes tes plaies toute seule chez toi, dans la honte. Nous sommes toutes des petites polices responsables et nous devons faire en sorte d'éliminer la prostitution parce que c'est pas gentil. Dénoncer les prostituteurs. Ici, on ne souhaite pas uniquement que le travail du sexe sorte complètement du cadre légal, on a affaire à une espèce d'idéologie néo-libérale selon laquelle notre société peut abolir pas que la règlementation, mais la prostitution. L'acte. Carrément. Comment? Par quel miracle? La répression des clients? Juste brandir l'abolition, ça contribue sûrement à la culture du viol. C'est juste dire que c'est laid, sale et méchant. Alors si tu le fais tu cours après ton malheur. Encore une fois, on se permet d'indiquer à la femme le droit chemin. Avant de prétendre abolir la prostitution, il y a des clients et toute une société à éduquer.

Je ne sais pas pour combien de temps encore je vais voter, le drapeau noir m'attire. Le 7 avril prochain, c'est peut-être la dernière fois de ma vie où je voterai. Je voterai pas pour des créations d'emplois pour les hommes. Je sais que je ne voterai pas pour ceux et celles qui supportent des aberrations comme l'opération cyclope qui m'incite à dénoncer des hommes. Je sais que je vais voter pour celles et ceux qui même s'ils ne partagent pas nécessairement mon opinion sur toute la question et sur toutes les questions, sont le plus susceptibles de mettre l'énergie qu'il faut et à la bonne place pour mettre fin à la violence faite aux femmes. Un parti féministe.


Si le témoignage que j'ai lu a été écrit par une femme. Je n'ai rien à dire. J'oserais jamais la contredire sur sa réalité ou la juger. Je me permettrais de l'admirer. Je sais que ça aide à guérir de nommer. Tout est là en tout cas. Tous les arguments abolos. Bien expliqués, détaillés. Elle a un discours très articulé sur le sujet. Si ce texte a été écrit par une femme, je n'ai rien à dire. Mais s'il a été écrit par un collectif, je trouve ça pas très éthique de faire passer ses messages comme ça. Moi depuis Go ask Alice, je fais plus confiance à personne.

Et c'est bien ça le pire. Est-ce que j'oserais supposer que c'est un faux témoignage si c'était celui d'un homme? C'est comme ça qu'on perpétue les inégalités. Parce que cette femme ne pense pas comme moi, je sous-entends qu'elle n'existe pas, n'est pas réelle. Elle a été inventée par une gang de fille frustrées. Je l'élimine pour faire de la place à mes idées. Parce qu'elle est anonyme, j'en profite.

Ce témoignage aurait pu être écrit par tellement de femmes que je n'oserais jamais le remettre en question, je n'oserai pas critiquer non plus les conclusions des groupes de femmes et leur but de mettre fin à l'exploitation des femmes. Mais je m'opposerai toujours quand j'estimerai qu'une démarche peut nuire, même à une seule personne. Je m'insurgerai contre les approches infantilisantes et et moralisatrices. Je me battrai contre tous ceux qui prétendent qu'il n'y ait qu'une vérité.

Je suis pour l'approche de réduction des méfaits. Parce que je considère que c'est une approche respectueuse des êtres humains dans leur intégrité. C'est une façon de faire qui a fait ses preuves et en attendant qu'on ait changé le monde ça fait des petits miracles, un à la fois. En supportant celles qui souhaitent l'être, en respectant le rythme et le choix des autres sans les condamner ni les traiter en victime, mais en facilitant l'accès aux moyens permettant aux gens de s'autonomiser. L'empowerment, ça sera peut-être un jour dans le dictionnaire. Quand on te laisse travailler et vivre tranquille au sein d'une société inclusive, c'est plus facile de prendre soin de toi et de prendre les meilleures décisions concernant ta propre survie. De cette façon personne ne se permet de penser à ta place. Tu as toute la place qui te revient. C'est juste ça, la reconnaissance.

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