samedi 14 décembre 2013

Quand tu perds un de tes parents, il se passe de quoi pendant quelques jours. C'est comme quand tu avais cinq ans et que ta mère t'a laissé dans un banc de neige parce que tu voulais plus marcher et qu'il commençait à faire noir et qu'elle a tourné le coin de la rue pour te donner une leçon; sauf que ta mère revient jamais. Tu parles avec une petite voix. Tu voudrais juste manger de la soupe pis regarder Charlie Brown. Tu penses à tout ce que cette personne t'a appris. T'as l'impression que t'a perdu les jambes, mais va savoir pourquoi, t'es encore capable de marcher. Tu veux qu'il qu'elle soit fière de toi.  T'as l'impression que l'autre avait pas de défaut. Et t'as compris trop tard. Tu penses à tout ce que t'as pas dit. Tu fais des bilans. Tu fais des cauchemars.

Mon petit frère est resté barré sur ce sentiment. C'est un petit garçon qui veut satisfaire notre père. Il pense à lui tous les jours. Mais cette semaine c'est pas facile. Il m'a téléphoné pour me demander si j'avais fait quelque chose de spécial. Mais Einstein, papa est mort. Qu'est-ce que tu veux que je fasse pour lui.

Et j'ai bloqué le téléphone pour pas qu'il entende ma voix se briser quand j'ai compris que même si je veux pas y penser mon corps lui, y a pensé. Mes pas m'ont menée à la Belle province où j'ai commandé un moutarde choux pour apporter, ils ont mis quelques patates dans le fond de mon sac parce qu'ils sont fins de même à ce resto-là. Je suis sortie et j'ai mangé mon hot dog au froid en me gelant les doigts. Je savais pas pourquoi je faisais ça. Manger un hot dog à moins vingt en marchant sur la Tario. Pourquoi ça m'a pris de même? Parce que c'était le hot-dog préféré de mon père. Parce qu'on mangeait ça dans les estrades à l'aréna Camilien-Houde pendant que mon frère jouait au hockey. Parce que ça fait six ans qu'il est mort et que je fais semblant de pas m'en rappeler, mais mon corps, lui, s'en souviens.

Et mon petit frère, moins hypocrite que moi, hurle partout sa douleur sur les réseaux sociaux. Papa ne l'a pas vu, ne le verra jamais devenir un homme.

Quand tu perds un de tes parents tu réalises tout à coup à quel point il faut être égoïste pour mourir. Et laisser tous ceux qui t'aiment le coeur ouvert, la tête bouffée par les doutes, déambulant sur la Tario les yeux brouillés, la voix étranglée, une haleine de fumée, les mains qui sentent le vinaigre, gelées dans leur mitaine.

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