mardi 14 mai 2013

On réfléchit à un Québec pour tout le monde, mais est-ce qu'on veut un Masoch pour tout le monde aussi? Ou est-ce qu'on ne souhaiterait pas un Masoch inclusif? Intégrer les bourgeois et les étudiants à notre culture. Comment assimiler du monde qui ne nous regarde même pas? Les gens qui viennent ici pour dormir et prendre un café, leur montrer à vivre ici. Est-ce que c'est encore possible de travailler et vivre dans Masoch?

Le comité que je coordonne, c'est une thérapie. Christianne a fait remarquer que j'étais la seule de vieille souche, Gilbert a dit en plus, c'est la plus jeune. Je fais souvent l'exercice avec n'importe qui, dès qu'on est dans un groupe de plus de trois. Levez la main ceux qui sont nés à Montréal? Dans Masoch?

Qu'est-ce que ça signifie que je sois la seule d'icitte? Qu'est-ce que ça change?

Ça change que je vais mourir plus jeune. Ça change que j'ai plus de dettes. Ça change que j'ai grandit avec les gens les plus méprisés de notre société. Ça change que moi, je vais au dépanneur. Même si c'est trop cher, je vais au Dépanneur Kébec coin Bourbon et Adam, Zac commande des jujubes en bouteilles de coke juste pour moi. Zac a boycotté Québécor et ses publications. Je vais au dépanneur et je n'arrêterai jamais d'y aller. Même si ça fait de moi une minorité visible. La fille d'Hochelaga. Selon l'élite bourgeoise, aller au dépanneur, c'est imbécile. Le dépanneur c'est pour les perdants. Les gagnants font le tour de la ville et vont jusqu'au Dix-30 pour trouver ce qu'ils veulent. Moi, quand j'ai pus de sauce VH pour manger avec mes egg rolls congelés à 22h, je vais en chercher au dépanneur. Des piles pour mon vibrateur, du butane pour planer, des doritos que tu trempes dans des petits pots de purée aux bleuets pour bébés dans un trip de bouffe. Tu ne retrouveras pas ça ailleurs.

Y a quelque chose d'irréconciliable icitte. Deux solitudes dans Masoch. T'as ceux qui vont au dépanneur et ceux qui pensent que c'est mieux d'aller chez Costo, chez Walmart, au marché Jean-Talon,  à New-York ou n'importe où ailleurs sauf ici. Ce malaise-là, si j'étais toute seule à me l'imaginer, y aurait pas un beau smash de peinture jaune sur la façade d'Arhoma, du saucissier et des condos de la place Valois. C'est l'oeuvre de quelqu'un qui est mal à l'aise. Qui dit Heille sacremment, j'existe même si vous voulez pas me voir.

Moi aussi j'existe même si vous voulez pas me voir. Je me sens coupable parce que je vis sur la frontière. Je vais au dépanneur, mais je vais aussi à l'université. Coupable de pas être végétalienne et de pas manger bio. De ne pas avoir d'épargne. Coupable de ne ne pas planifier ma retraite. Coupable de ne pas avoir d'assurance. Coupable de ne pas savoir conduire. Coupable de ne pas avoir de baccalauréat. Coupable de ne pas condamner l'usage de drogue à des fins récréatives. Coupable d'en prendre de plus en plus. Coupable d'avoir si peu voyagé. Coupable d'être enragée. Coupable de manger des hot-dogs.

Quand on est pauvre on est tout le temps coupable. Ça nous rend laids et repoussants.

Quand je reste trop longtemps de l'autre côté j'ai peur de ne plus revenir. Et quand je reviens, je suis coupable de  réussir. Coupable de faire un peu d'argent. Coupable de savoir des tas de choses et d'essayer de les partager. Coupable de contribuer à la gentrification en dépensant 36$ chez Arhoma pour deux pains, deux cafés, un fromage et un croissant aux pistaches. Coupable d'avoir un faible pour le chocolat chaud au lait de coco gratuit de Essentiellement sol le soir du défilé du Père-Noël. Coupable de voter et de faire de la politique. Coupable d'être féministe. Coupable d'avoir une assurance maladie.

Quand on est riche, on est tout le temps coupable.

2 commentaires:

  1. Moi aussi je vais au dépanneur. Pis j'arrêterai pas. Toujours content de te lire

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  2. Toi aussi tu es pris avec la double nationalité. :)

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