dimanche 13 janvier 2013

Ma grosse tête

J'ai la tête enflée.

Je parle beaucoup de moi. J'oblige les gens qui m'aiment à s'intéresser à mes projets pour qu'ils me disent combien je suis extraordinaire. Je leur montre mon film, Manifs. Je parle tout le temps du cirque. De comment j'ai hâte. De comment je veux qu'ils soient tous là. Je veux qu'on me regarde, qu'on m'approuve. Je tombe par hasard sur ma grosse face et j'en parle pendant des heures. J'ai complètement oublié cette entrevue-. Je suis bonne hein? Je m'aime même si j'avais la face gonflée parce qu'on n'avait pas encore trouvé les bons médicaments. C'était une bonne journée, il m'a embrassé et il m'a dit que j'étais parfaite. Quand il m'admire comme ça, je n'ai besoin de rien d'autre.

J'aime pas ça. J'aime pas être comme ça. Me trouver bonne et belle. C'est pas mon genre. J'aime pas vouloir que tous les hommes me regardent et me touchent. Qu'on me trouve intelligente.Qu'on me reconnaisse, qu'on m'aime.

J'aime pas, mais j'ai peur que ça s'arrête. Ça me distrait un peu. Je m'endors tous les soirs en me demandant comment il ira demain. Mieux ou pire? Est-ce que ce sera une bonne ou une mauvaise journée. Depuis un peu plus d'un an, ma semaine type ressemble à :

Lundi : J'ai tout gâché parce que j'ai dit une connerie sans trop réfléchir. Il est d'une sale humeur, je lui rappelle de prendre ses médicaments à l'heure, il m'envoie chier. Je fais mieux de me cacher dans mon bureau à travailler. Avec un peu de chance, je gagnerai de l'argent. Je décline toutes les invitations. Tout le monde croit que je suis préoccupée par mon travail et que je culpabilise parce que j'ai pris congé hier. Je me demande où il est, avec qui? Je sais que si je l'appelle, il va en profiter pour me faire de la peine.

Mardi : Il me regarde comme de la marde, je ne suis pas capable de le supporter. Je ne dois rien dire, rien faire. Il dit que ses amis sont tous des cons et qu'il ne veut plus rien savoir de personne. Il ne veut pas me voir. Je suis de trop chez moi. Je m'enferme dans mon bureau pour travailler. Quand je l'entends sortir, je suis soulagée. Puis j'ai peur, s'il ne me parle pas et qu'il ne parle pas à ses amis, ça veut dire qu'il est seul. Complètement seul. Je sais comment il se sent et je suis impuissante. J'ai peur qu'il soit trop saoul pour se protéger et qu'il me transmette une cochonnerie ou pire, qu'il mette une fille de dix-neuf ans enceinte.

Mercredi : Il est de plus en plus agressif, il publie des trucs décousus sur Facebook. J'aime mieux rester dans mon bureau, je ne veux pas le provoquer. Le soleil va revenir. J'ai juste à être un peu patiente. Ça revient tout le temps. Je sais que c'est improbable, mais j'ai quand même peur qu'il me frappe. Il fait pire. Il m'évissère avec ses mots bien aiguisés. Il me connaît mieux que n'importe qui. Il sait comment me faire mal et c'est la seule façon qu'il a trouvé de se sentir mieux.

Jeudi : Il m'engueule parce que je travaille trop, me dit qu'on n'a plus rien à se dire et sa vie est tellement nulle qu'il envisage de se ruer sur une police pour se faire tirer. Il dit que je serai mieux quand il sera mort. Je sais qu'il a raison et je m'en veux. Je pleure dans mon bureau et j'essaie de me concentrer sur mon travail pour ne pas devenir folle. Je découche.

Vendredi : Je lui en veux. J'en ai assez. Je ne mérite pas ça. Je mérite un homme bon et gentil qui plie lui-même son linge et me surprend en me faisant à déjeuner une fois de temps en temps. Un homme qui me remercie quand je cuisine pour lui (même quelque chose d'ordinaire) après avoir travaillé pendant dix heures. Un homme qui a envie de me sourire et de me prendre dans ses bras. Et j'essaie de me rassurer en discutant avec un ou deux garçons intelligents, seins, équilibrés, pour ne pas perdre toute confiance en l'humanité. Et j'écris le cirque pour me souvenir que les hommes, je les aime n'importe comment. Même fous. Fou, je l'aimerai même s'il doit le demeurer. Parce que j'aurais rendu fou n'importe quel homme. C'est ma faute. Je suis comme ça.

Samedi : Il m'aime. Il ne doute plus que je sois la femme de sa vie. Sa femme. Il s'en veut, il s'excuse, il regrette de ne pas me mériter. Il fait soleil. Je reconnais ses yeux. J'ai tellement peur de tout gâcher en disant ce qu'il ne faut pas. Je me tais. C'est un petit bonheur serré. Un petit bohneur effrayé et discret, tassé dans le fond de mon coeur brisé et je ne veux pas penser à quand il repartira. Je souris et je travaille la tête tranquille au lieu de profiter de ce qui passe. Travailler c'est maintenant tout ce que je sais faire. Pour oublier un peu que bientôt, il pleuvra.

Dimanche : Il appelle Léo pour se faire tatouer mon nom. Il parle des enfants que je ne peux pas avoir. Il s'en fout, tout est possible, j'ai épousé Superman. Nous sommes le couple le plus solide du monde. Nous ne nous quitterons plus jamais. Je prends congé. J'y crois pour vrai. Mais demain c'est déjà lundi.

Je peux être fière. J'ai appris que je peux survivre même quand la seule personne sur laquelle je compte n'est plus en mesure de me secourir. Je suis capable de marcher toute seule, de manger seule, de dormir seule. Je peux même m'occuper de lui toute seule et réussir deux ou trois trucs. Je suis une machine capable de tout faire.

Tout ça m'épuise. Ça me ferait du bien de t'impressionner en t'énumérant les cent plus grands hits d'Elvis dans l'ordre de ton choix ou en calculant 192 754 852.85 / 18 655.87 en moins de dix secondes sans crayon ni papier. Je veux défaire tes arguments contre l'indépendance de la Catalogne un a un en retirant tes vêtements. On peut juste fourrer quelques minutes dans ton char, si tu veux. Si t'es pressé, ça me convient. J'ai gravement besoin qu'un homme heureux me prenne dans ses bras et me dise que ma robe noire me fait des esties de belles boules.


Ça te tente-tu?

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