samedi 1 décembre 2012

Mon premier roman

Me souviens pas trop du titre mais il y avait le mot yeux dedans. J'avais entre douze et quatorze ans. Je l'ai commencé à la petite école et l'ai poursuivi à la Polyvalente. J'écrivais avec un pouce-mine, en lettres détachées à double interligne sur des feuilles mobiles. J'avais toujours une ou deux feuilles sur mon pupitre semie-cachées sous mon cahier de notes ou d'exercice. J'allais de l'un à l'autre. J'étais déjà multitâches. Je prenais des notions d'algèbre en note et j'écrivais de la poésie et mon roman en même temps. Une histoire d'amour banale entre un enseignant d'éducation physique et une jeune fille orpheline de quatorze ans qui ressent l'urgence d'être enceinte. Ça parlait de viol. De virginité. De sexe. De dope. De dépendance. D'abandon. De fécondité. D'avortement. De mariage. De bébés morts. De fidélité. De projet de coopération en Afrique pour prévenir le SIDA.

C'était un titre ordinaire. J'avais treize ans et je me suis achetée un jolie cartable zébré pour y classer mes écrits. L'histoire de deux frères amoureux de la même fille. Ça parlait de viol. D'inceste. De dope. De dépendance. De sexe. De grossesse non désirée. D'abandon. De prostitution. De VIH. De vengeance.

Le titre était minable. À quatorze ans, j'écrivais l'histoire d'une fille de seize ans qui tombe amoureuse d'un chanteur populaire et tombe enceinte de lui. Ça parlait de virginité. De sexe. De dope. De dépendance. D'abandon. De fécondité. De fidélité. De prostitution. De relation de pouvoir et de rapport à l'argent.

 Le titre était tellement quétaine. C'était un concours provincial et j'ai gagné pour Montréal. J'avais fait un court métrage, j'étais intense. Adapter l'histoire et en faire un roman m'apparaissait la chose à faire. J'avais quinze ans et j'écrivais à l'encre bleue sur des feuilles mobiles, la tragique histoire d'amour entre une adolescente et un jeune adulte atteint du VIH à cause d'une seringue contaminée dans un party, juste une fois. On ne le dit jamais assez d'apporter toujours ta propre seringue et ton propre condom dans les partys. Le gars crevait à la fin et la fille faisait un long monologue sur sa tombe. Le genre de monologue dégoulinant qui donne envie de te tirer une balle dans tête. Style Ben Affleck dans Chasing Amy. Ça parlait de virginité. De sexe. De dope. D'abandon. De suicide. De vengeance.

À seize ans j'écrivais l'histoire sans titre d'une fille qui s'endort au pied d'un arbre au carré St-Louis et rencontre Nelligan quand elle se réveille, ils se baladent sur le Plateau, sur la montagne et font doucement l'amour sur sa tombe. Ça parlait d'histoire. De virginité. De sexe. De dope. De dépendance. D'abandon. De suicide.

Le titre était très très laid. J'apprenais la comptabilité et sur ma disquette il y avait un document Word pas rapport. J'avais vingt-deux ans et j'essayais d'écrire la biographie de Mémère, mais elle me l'a formellement interdit. Elle m'a jeté un sort. Ça parlait de virginité. De fécondité. De religion. D'inceste. De mariage à un bonhomme alcoolique alors qu'elle était encore adolescente, mais enceinte d'un bébé mort. Chaque fois que j'essayais d'écrire quelque chose, j'avais beau respecter mon plan, ma grand-mère se ramassait tout le temps en train de se faire fourrer ou violer. Et elle aimait ça. Elle s'adonnait à toutes sortes d'affaires la bonne femme. BDSM, DVDA... Je pense que je suis une très très mauvaise biographe.

Le titre a changé plein de fois et aucun ne lui allait. J'avais vingt-trois ans et j'écrivais sur mon propre ordinateur portable mais trop lourd pour être transporté; un écrivain sur le BS, fils de pute et souverainiste qui s'amourache d'une riche anglophone de Westmount âgée de quinze ans de plus que lui, pour oublier qu'il aime sa meilleure amie depuis toujours, elle-même mariée à un con. Ça parlait de viol. De virginité. De sexe. De bisexualité. De dope. De dépendance. De relation de pouvoir et de rapport à l'argent. De prostitution. De VIH. De suicide. D'avortement. De fertilité. De religion. De mariage. De bébé mort. De vengeance.

Le titre était comique. Toute la patente était comique, quand j'y repense. À vingt-quatre ans, j'ai essayé d'écrire une fille un peu fêlée qui se prend pour une sorcière, orpheline, élevée par sa grand-mère. Elle épouse un policier Haïtien de confession baptiste, mais tombe bientôt amoureuse du voisin qui a perdu son chat, un peintre Français. Ça parlait de viol. De virginité. De sexe. D'inceste. De bisexualité. De dope. De dépendance. De relation de pouvoir et de rapport à l'argent. D'avortement. De mariage. De bébés morts. De meurtre. De religion. De suicide. De vengeance.

Demain, je dois remettre la dernière version de mon premier roman à l'éditeur. L'histoire d'une orpheline. L'histoire d'une grand-mère. Je vous laisse deviner de quoi ça va parler.

4 commentaires:

  1. Ça me ferait plaisir de vous inviter au lancement. Ta copine et toi. :)

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  2. T'as de la suite dans les idées.

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  3. Tattoo, j'ai le tour de piétiner et tourner en rond. Personne ne va nulle part aussi bien que moi.

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